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Le maquis de Malleval

À la fin de l’année 1943, deux maquis coexistent dans les hameaux qui ceinturent le village de Malleval. Un camp FTP, sous la direction de Raymond Perinetti, responsable régional, accueille des membres du FN et du PCF « grillés », notamment des cadres, des internés politiques, à La Lia, hameau des Belles. Un autre camp, de l’ORA (6e BCA reconstitué), dirigé par Gustave Eysseric (Durand) est également créé. Ce dernier a absorbé un groupe formé par l’abbé Grouès, plus connu sous le nom d’ “Abbé Pierre”, auteur plus tard de l’appel de l’hiver 1954 et fondateur de la communauté Emmaüs.
À Noël 1943, les camps installés dans les environs de Malleval comprennent au total une centaine de maquisards.

Le 29 janvier au petit matin, la Wehrmacht, renseignée, attaque le maquis de Malleval. Le village est cerné par le bas, à partir de Cognin-les-Gorges et, par le haut, à partir des falaises et des pas surplombant le cirque. Le piège est ainsi refermé sur les maquisards. À la suite de l’opération, huit civils seront déportés, cinq ne reviendront pas. 

Cette opération des troupes allemandes dans le Vercors, alors que ces différents camps ne dépendent pas du « projet Montagnards », illustre la brutalité de l’occupation allemande effective, en remplacement des Italiens, à partir de septembre 1943. Elle préfigure également les raids et les coups de boutoir de la milice française et de la Wehrmacht du printemps 1944 au cœur du massif du Vercors.

Auteur : Julien Guillon
Sources :
Archives départementales de l’Isère 57 J 50/2. Témoignage de Jean Luzat, 1975, 4 pages.
Archives ANPCVV.
PARSUS (J.), Malleval-en-Vercors dans la Résistance, Le peuple libre, Paris, 2011, 271 pages.
BILLAT (P.), “Levés à l’aube de la Résistance dauphinoise – P.C.F.-FRONT NATIONAL-F.T.P.F.” in La Résistance de l’Isère, Les imprimeurs réunis, Sassenage, 1978, 218 pages.

Pour en savoir plus : Raids et coups de boutoir contre la Résistance du Vercors (G. Giraud)

21, 22 et 23 juillet 1944 ; les combats du belvédère de Valchevrière

I. Le contexte des forces en présence

Contexte stratégique allemand

Le 21 juillet 1944, le général Heinrich Niehoff, commandant l’Armée allemande pour le Sud de la France, attaque le maquis du Vercors dans quatre directions pour préserver sa liberté d’action sur ses voies de communication entre la Méditerranée et le Lyonnais. Il s’agit :

  • de Saint-Nizier en direction des Quatre Montagnes ;
  • de la vallée du Drac, pour s’emparer des pas de la falaise orientale ;
  • de la vallée de la Drôme par Crest, Die et le col de Rousset ;
  • par la troisième dimension à Vassieux-en-Vercors, en procédant à un assaut de parachutistes posés en planeurs.

Il est secondé, notamment, par le général Karl Pflaum, commandant la 157° division de réserve (157e DR).

Pour ce qui concerne le Vercors-Nord, Pflaum engage le 2e bataillon de réserve des Gebirgsjäger 100, commandé par Seeger. L’effectif du bataillon est de six cents hommes. Il débouche de Saint-Nizier :

  • avec un sous groupement réduit, en direction de la crête de la Croix Perrin, Autrans et Méaudre ;
  • avec un autre sous groupement plus important, il progresse vers Villard-de-Lans et Corrençon-en-Vercors. C’est son axe d’effort. Il concerne, notamment, le chemin carrossable du secteur du Belvédère.
Contexte tactique allemand
Carte d’état-major, 1950. Echelle 1/68000

A partir de Villard-de-Lans, la Wehrmacht doit s’ouvrir une ouverture dans la défense de la Résistance, via la route carrossable, actuellement dite « du chemin de croix de Vachevrière » , pour atteindre La Chapelle-en-Vercors et, de là, établir une liaison avec les parachutistes de Vassieux-en-Vercors.

L’ennemi a trois possibilités de progression :

  • la route des gorges de la Bourne, mais le pont de la Goule Noir est détruit ;
  • la ligne de crête de l’Ange et les pas de l’Âne et de la Sambue ;
  • le chemin carrossable qui franchit le verrou naturel du Belvédère et le hameau de Valchevrière, puis rejoint Saint-Julien-en-Vercors.
Contexte stratégique de la Résistance en Vercors

Sa stratégie repose sur l’attente du déclenchement du projet Montagnards en liaison avec un débarquement des Alliées en Provence et de l’organisation civile et militaire du massif en conséquence.

Contexte tactique de la résistance en Vercors

Après l’attaque allemande à Saint-Nizier, les 13 et 15 juin 1944, François Huet (Hervieux) ordonne un repli sur les hauteurs Ouest des Quatre Montagne ; la ligne de défense s’étend de la forêt de la Loubière, au sud, à la zone de la Croix Perrin, au nord, avec un contrôle de l’entrée des gorges de la Bourne. La zone donne un accès direct à l’artère vitale du Vercors qui relie Rencurel, Saint-Julien-en-Vercors et Saint-Martin-en-Vercors.

II. Les combats Les combats du bois de la Loubière, dont celui du verrou du Belvédère de Valchevrière

Description du terrain d’affrontement

La rive droite des gorges de la Bourne est dominée par le Gros Martel (1557m). Le terrain est très pentu et boisé. L’entrée des gorges est tributaire de l’unique pont de la Goule noire.

La rive gauche de la Bourne, dominée par le Belvédère de Vachevrière, boisée et difficile d’accès ; elle débouche, à l’est, sur la zone plate et dégagée du Bois Barbu.

Carte d’état-major, 1950. Echelle 1/34000.

La crête de l’Ange (1500m) domine Corrençon-en-Vercors (1055m) ; elle est très boisée et pentue vers son sommet ; elle est franchissable au pas de la Sambue (1390m), au pas de l’Âne (1423m) et au collet de la Coinchette.

La ferme d’Herbouilly est dans un grand espace libre au pied du pas de la Sambue, à l’ouest.

Enjeu de la bataille pour la résistance

Le 21 juillet 1944, le territoire des Quatre Montagnes est occupé par l’ennemi ; La Wehrmacht attaque pour s’emparer des pas de la falaise orientale ; le 24 juillet l’objectif est atteint ; le pas de la Balme est franchi, la route est ouverte vers Corrençon-en-Vercors ; Vassieux-en-Vercors est occupé ; le Belvédère est le dernier obstacle avant la prise de décisions majeures du commandement, au cas où les Allemands neutraliseraient la dernière résistance du Vercors.

Dispositif de la résistance

Le dispositif défensif est aux ordres de Prévost (Goderville) ; il est installé à la ferme d’Herbouilly . Il comprend :

  • la compagnie Brisac (Belmont) qui contrôle les hauteurs nord des gorges de la Bourne ;
  • le 14 juillet 1944, la compagnie Chabal du 6e BCA qui s’installe au Belvédère ; son effectif est de l’ordre de 60 à 80 combattants selon les historiens ; elle est organisée en deux ou trois sections, dont la section aguerrie qui a combattu à Saint-Nizier et la section des « jeunes » mobilisés le 9 juin et par conséquent moins aguerris, mais non moins motivés ;
  • la 4e compagnie de Prévost (Goderville), du 6e BCA, qui occupe le pas de la Sambue et le pas de l’Âne. La Sambue est tenue, notamment, par les sections Bouchier et Liotard. Quelques éléments du groupe Vallier arriveront en renfort le 24 au matin après avoir combattu à la Croix Perrin et à Valchevrière, le reste du groupe restant avec l’état-major en forêt de Lente ;
  • des éléments de la compagnie Ullmann (Philippe) (12e BCA) qui sont aux avant-postes, à la Glacière de Corrençon il s’agit de la section Philippe ;
  • les tirailleurs « sénégalais » du lieutenant Point sont sur les hauteurs entre Chabal et la 2e compagnie.

Soit, au total, quatre cents hommes répartis sur 15 kilomètres.

L’engagement des Allemands

A l’évidence, Seeger applique son axe d’effort sur le chemin du Belvédère. Comme à Saint-Nizier, il procède d’abord à des reconnaissances offensives pour localiser les défenses et en estimer le volume et les capacités de combat. Ensuite, il attaque en force les centres de résistance identifiés, en combinant l’avance des unités d’infanterie avec un appui de tirs de mortiers, arme à tir courbe excellente en montagne.

L’action des Résistants de la crête de l’Ane

Le 21 juillet, ils repoussent la reconnaissance de la Wehrmacht à la Glacière de Corrençon. Mais ce ne sera qu’un répit. Les combats dans le secteur de la crête de l’Âne dureront jusqu’au 24 juillet par l’occupation de la Sambue.

La compagnie Chabal

La compagnie arrive au Belvédère, le 14 juillet 1944, venant de la maison forestière de Chalimont. Chabal déploie son unité en deux groupes :

  • la section des « anciens de Saint-Nizier » aguerris est aux avant-postes, à hauteur de la grande Combe et en profondeur et en retrait sur le chemin. Une sonnette est installée à l’avant pour observer la sortie du Bois Barbu ;
  • la section des « jeunes mobilisés le 9 juin. », moins instruite en vue du combat, mais tout aussi motivée, se déploie à proximité dans les bois de la Loubière surplombant le chemin.

Chabal installe son PC sur l’esplanade du Belvédère entouré de quelques compagnons. L’armement comprend : mitraillettes » Sten, fusils-mitrailleurs Bren, fusils Lee-Enfield, bazookas et mines. Le terrain est aménagé pour la défensive : arbres coupés, champs de tir dégagés, postes de combat protégés par des rondins, mines posées dans le bois pour éviter tout débordement de la position. Les conditions météorologiques sont mauvaises : pluie incessante, ce qui a l’avantage de gêner l’engagement de l’aviation mais glace les corps de combattants.

Le déroulement des événements

Le 22 juillet, 16 heures, les Allemands lancent une reconnaissance offensive appuyées par des tirs de mitrailleuses lourdes et de mortiers. Les avant-postes sont bousculés ; une contre-attaque, appuyée par la section Bouchier arrivée en renfort, rétablit le dispositif. Il en découle un sentiment trompeur de victoire, mais Chabal sait que le plus dur est à venir. Bouchier rejoint Prévost.

Le 23 juillet, le contact est subitement pris avec les Allemands sur le chemin. Ils fixent les avant-postes et s’infiltrent dans les sous-bois pour les déborder par le haut. Un violent tir de mortiers s’abat sur la position. Risquant l’enveloppement, les combattants se replient vers le Belvédère.

Chabal tente d’occuper les hauteurs qui dominent l’esplanade, trop tard, les Allemands sont déjà présents. Blessé, il continue à titrer ; il confie à Pitoulard le soin de porter son dernier message à Prévost à Herbouilly : « Je suis presque complétement encerclé. Nous nous apprêtons à faire Sidi-Brahim. Vive la France ». Pitoulard ne trouvant pas Prevost, il remet le message à Tanant (Laroche). Chabal rappelle aux rescapés que le point de ralliement est le collet de la Coinchette. Il est tué à son poste de combat.

Liste des combattants tués : lieutenant Chabal, lieutenant Freddy Salomon (Passy), chasseurs Renoux, Vincendon, Perrin, Palme et Mulheim. Leurs noms figurent sur la stèle murale de l’esplanade du Belvédère.

La stèle murale de l’esplanade du Belvédère de Valchevrière.
Situation le 24 juillet

Les Allemands occupent le hameau de Valchevrière déserté par ses habitants. Ils incendient les maisons, sauf l’église. Prévost rend compte à François Huet (Hervieux) que la crête de l’Ange et le chemin du belvédère sont aux mains des Allemands. Vassieux étant définitivement occupé par les parachutistes renforcés par voie aérienne, François Huet décide la dispersion des unités dans les bois du massif.

La dispersion

Après le 24 juillet, le groupe Vallier se reforme en forêt de Lente où il combat à la Sapine (un tué) et assure le ravitaillement de l’état-major par des descentes dans la plaine.

La section Philippe rejoint la compagnie Ullmann (Philippe), 12e BCA, dans la forêt de Lente.

Le groupe des « Sénégalais » se replie en deux groupes et, par des itinéraires différents, ils rejoignent la forêt de Lente où ils se regroupent.

Obéissant aux ordres de son chef, le gros de la compagnie Chabal rejoint le collet de la Coinchette en passant, au préalable, par le PC de F. Huet à Saint-Martin. Une autre équipe redescend au hameau de Valchevrière et rejoint la forêt des Coulmes puis une cache au-delà de Malleval.

Au reçu de l’ordre de dispersion, le détachement de la crête de l’Ange se replie, notamment à Herbouilly, passe près de Roybon (baraque Magnan), atteint la plaine de la Sarna, où l’ordre est donné d’éclater la compagnie Goderville en petits groupes de guérilla. Jean Prévost (Goderville) trouve refuge avec un petit groupe à la Grotte des Fées, au-dessus du hameau des Valets. Le 1er août 1944, alors qu’il tentait de sortir du Vercors encerclé, il tombe sous les balles de tireurs allemands postés au Pont-Charvet, près de Sassenage, avec quatre de ses camarades. Louis Bouchier prend alors le commandement des éléments dispersés de la compagnie et participe à la libération de Romans du 22 au 27 août 1944. Par la suite, après la mort de son chef Jean Prévost, il regroupa les éléments de la compagnie pour les lancer à la seconde attaque de Romans les 22, 27 et 28 août 1944.

Auteur : Guy Giraud

Sources
Colonel Richard Marillier « Vercors 1943-1944 malentendu permanent », Editions de l’Armançon, mai 2003, 205p
Commandant Pierre Tanant, « Vercors Haut lieu de France- Souvenirs », Editions Artaud ; 1947, 228p.
François Roche, « François Huet chef militaire du Vercors-Une vie au service de la France », Editions Italiques, 303p.
Musée de la résistance en ligne, « Exposition Vercors-Résistant ».
L’Hirondelle des diables bleus n°106 de janvier 2017, « Ma vérité sur le Vercors de Robert Pitoulard », 4p
Peter Lieb, « Vercors 1944, Resistance in the French Alps », Editions Osprey publishing 2012, 96p

Le village détruit et la chapelle de Valchevrière, en 2020.

Une sélection de messages radio échangés entre le Vercors et Alger ou Londres en 1944

Cette sélection a été construite à partir des travaux de Fernand Rude et des archives de Robert Bennes, repris par Philippe Huet.


Émetteur
AlgerLondresTotal
Bennes (Bob)15318
Descour (Bayard, Périmètre)16117
Zeller (Faisceau)13316
De Lassus Saint-Geniès (Legrand) de la Drôme707
Longe (Eucalytptus)303
Huet (Hervieux)202
Chavant (Clément)101
Tournissa (Paquebot)909
Total66773
Tableau 1 – Du Vercors vers Alger ou Londres
ÉmetteurConstans (Saint-Sauveur)Cochet (état-major de la Défense nationale)SPOCTotal
Alger pour le Vercors134118
Londres pour le Vercors5

Tableau 2 – D’Alger ou de Londres pour le Vercors

Entre le 10 et le 30 juinEntre le 1er et le 14 juilletEntre le 15 et le 27 juilletTotal
Du Vercors vers Londres ou Alger27182863
De Londres ou d’Alger vers le Vercors581023
Tableau 3 – Flux de messages du 10 juin au 27 juillet 1944

On observe, avec les réserves d’usage, que les comptes rendus et demandes du Vercors sont les plus intenses au début et à la fin de la période. Les réponses d’Alger et de Londres sont, elles, moins nombreuses que les questions…

Sur plus de vingt messages, quatorze concernent des demandes de la Résistance :

  • de mortiers ;
  • d’équipement de 18 compagnies types maquis et de six compagnies lourdes ;
  • d’envoi de mitrailleuses légères et lourdes, de bazookas ;
  • de munitions pour chaque type d’arme ;
  • d’arrêt de l’envoi de mitraillettes de type Sten, car l’arme est dangereuse à l’emploi et a une portée insuffisante.

À l’initiative d’Alger, l’envoi de dix batteries de canons si les hommes sont prêts à leur mise en œuvre (il ne sera pas donné suite à cette offre).
À l’automne 1945, R. Bennes recopie, de sa main, les messages échangés entre le Vercors et Londres et Alger à partir du 8 juin, date de l’installation des radios à la Britière.

Ces documents étaient archivés à la DGSR, boulevard Suchet à Paris. Les plus caractéristiques, en regard de la situation de la Résistance en Vercors, sont présentés ci- dessous.

Date de réceptionExpéditeurDestinataire (s)Texte
10/06/1944Bob (Bennes)Saint-SauveurBayard vous rappelle urgence parachutage Homo et Arma région Vercors. Pouvons recevoir au moins un, je dis un, régiment de parachutistes. Mobilisation faite dans Vercors mais armement actuel très insuffisant. Ne pouvons résister si sommes attaqués. Manque armement léger et lourd pour 2000 hommes, je dis 2000 hommes bastion Vercors. Est urgent les armer et les équiper. Terrains Taille-Crayon, Coupe-papier et Papier- Gommé, prêts à recevoir de nuit ou de jour. Respects, Bob.
10/06/1944Périmètre
(Descour)
BCRAA, DGSS et Saint-SauveurVercors 2 000 volontaires à armer. Stop. Enthousiasme premier fléchit devant carence armement. Urgence extrême envoyer hommes, armes, essence, tabac d’ici 48 heures maximum. Attaque en force possible. Impossible de résister efficacement dans conditions actuelles. Echec entraînerait représailles impitoyables sur population. Serait désastre pour résistance région. Troupes armées ont 3 minutes de tir seulement.
10/06/1944Périmètre
(Descour)
DTSSPour Vercors demandons armement type maquis pour 18 compagnies légères et type lourd pour 6 compagnies lourdes. Ces effectifs une fois armés sont strictement nécessaires Vercors. Serons alors prêts à opérations offensives toutes directions. Mobilisation a été ordonnée sur assurance formelle recevoir armement. Stop. Non-exécution promesse créera Vercors situation dramatique
12/06/1944BobSaint-SauveurEnvoyer urgence max. sur chaque terrain Bob dans Vercors. manquons mitrailleuses, F.M., mortiers, si possible armes antichars et canons. Boite aux lettres pour moi Givors inchangée, Valence Drôme-bar 60 rue des Alpes-dire patronne Quel est le jour de l’enterrement de Mme. Pierre– Réponse lettre à mon code. Troisième boite Mme. Bec institutrice St. Nazaire-en-Royans, Dorme. Mot de passe.
Tableau 4 Demandes de renforcements en combattants et armes Vercors vers Alger.
Sources : F. Rude (
Revue de l’Armée) et archives de R. Bennes
Date de réceptionExpéditeurDestinataireTexte
12/06/1944Saint-SauveurPérimètreSelon exposé Clément programme équipement 5 compagnies en première urgence, 5 compagnies 2e urgence. Stop. Seul obstacle jusqu’à présent conditions atmosphériques. Stop. Ferons de notre mieux suivant possibilités transports aériens limitées. Amitiés
Tableau 5Demandes de renforcements en combattants et armes Alger vers Vercors
Date de réceptionExpéditeurDestinataireTexte
24/06/1944FaisceauAlgerRenouvelle demande bombardement urgent et répété sur terrain avions Chabeuil, 50 à 60 appareils sur terrain ou dans bois à proximité
27/06/1944RogersSaint-Sauveur
Vous devez immédiatement bombarder un aérodrome à Chabeuil. Il est absolument certain qu’il y a 110 avions de Salon et Avignon dans les bois autour du terrain. Vercors menacé de là. Ceci est absolument essentiel. Très important stock de bombes non encore placés dans les abris. Demandons l’aviation dessus + commande du docteur Raoul (Rozan) de matériel sanitaire et médicaments pour 3 000 hommes.
4/07/1944Saint-SauveurFaisceauAviation alliée a photographié terrain Chabeuil et n’a trouvé trace que de 10 avions. Avons reçu 3 coordonnées différentes. Préciser coordonnées terrain d’urgence.
Ndlr : les avions alliés prennent des photos en volant à très haute altitude. Il est donc difficile de repérer des avions allemands camouflés dans les bois et protégés par une défense contre avion (DCA) dangereuse.
14/07/1944Saint-SauveurPérimètreRedemandons à l’aviation bombardement de jour Chabeuil. Confirmez d’urgence pour assurer coup de main la nuit sur avions dispersés en cas seconde attaque de plus petite envergure qui aurait comme but de désorganiser la garde des installations. Confirmez que vous pouvez entrer en action sous préavis 12 heures.
Ndlr : L’aérodrome de Valence-Chabeuil sera bombardé le 24 juillet. Une trentaine d’avions seront détruits. Cette action survient trop tard pour soulager les combattants du Vercors.

23/07/1944, 19 heures
HervieuxAlgerParachutistes contenus dans Vassieux. Bombardements et mitraillages. Les hommes sont fatigués et le ravitaillement manque. 300 camions et 4 chars montent de Die. Demandons bombardement massif de Chabeuil et de Saint- Nizier. Demande parachutage à Saint-Martin où nous pouvons recevoir. Aidez-nous vite.
Tableau 6 – Messages relatifs à l’aérodrome de Valence-Chabeuil (Drôme)
Date de réceptionExpéditeurDestinataireTexte
5 juillet 1944Saint-SauveurPérimètreAlpes annonce mise à disposition Vercors artillerie de montagne avec 1e envoi 2 à 3 pièces de 75 américains pouvant servir comme antichars. Demande si Vercors a personnel et matériel nécessaire.
5 juillet 1944PérimètreSaint-SauveurAcceptons avec enthousiasme envoi immédiat 3 pièces 75 américains. Davantage si possible. Sommes en mesure équiper en cadre, personnel, transport. 1 groupe complet sous réserve envoi environ 24 boites. Proportion munitions : 70 % instantanés ou sans retard, 30 % perforants.
5 juillet 1944PérimètreSaint-SauveurCorrection : 60 % instantanés, 10 % retard ; encadrement pour 3 batteries de + possibles mais essence indispensable, matériel de transmission téléphonique.
Tableau 7 Messages relatifs à l’artillerie
Date de réceptionExpéditeurDestinataireTexte
14/06/44PérimètreConstans (Saint-Sauveur)Vercors attaqué le 13 par bataillon ennemi, dut abandonner lutte après 12 h combat. Attendons reprise offensive bref délai. Avons 8 tués et 4 blessés. Manquons armes. Vous demandons redoubler effort pour nous venir en aide. Population se lève en masse contre ennemi. Effectif à armer augmente tous les jours. Bazookas ont fait merveille.

22/06/44
Périmètre
Delphin et Saint-Sauveur
Vercors va être attaqué au N.E et Sud. Impossibilité tenir si sommes pas secourus immédiatement. Possibilités magnifiques ouvertes par Vercors pour opérations à venir seront perdues. Amitiés.
22/06/44Saint-SauveurPérimètreSavons importance Vercors. Mettons tout en œuvre pour vous aider. Serez servis dès que conditions atmo le permettront. Amitiés saint-Sauveur. Félicitations pour admirable tenue Vercors.
28/06/44Saint-SauveurBobImportance primordiale Vercors, nécessitant présence sur place officier opération ayant fait ses preuves et sur lequel on peut compter en raison excellent travail fait jusqu’à ce jour. Envoi prochain agent Paquebot pour établissement piste atterrissage dans le Vercors. Vous demandons faciliter maximum son travail.
12/07/1944CochetPérimètre (alors en déplacement dans l’Ain)Renseignements de bonnes sources indiquent des possibilités attaque allemande en force sur le Vercors. Vous demande donner tous indices permettant confirmation de la menace et précisions permettant de déclencher opération aérienne dont nous allons demander préparation.
Ndlr : Commentaire de F. Huet (archives Huet). Je n’ai pas eu connaissance de ce message. Pourquoi Alger ne nous a-t-il pas délivrés de la mission Vidal (Projet Montagnards)?
15/07/1944KoenigSoustelle(Texte transmis à Cochet par Soustelle)
Le général Koenig rappelle que le Vercors appartient à la zone Nord. Veuillez demander au Gal Cochet l’aide qu’il attend du général Koenig qui s’efforcera de satisfaire à ses demandes. Tous ordres à acheminer sur le Vercors doivent émaner du général Koenig seul.
Tableau 8Messages relatifs à la stratégie
Date de réceptionExpéditeurDestinataireTexte
22 juillet, vers 2h du matin (radio : Aspirant Marcel Chapuis)Chavant (Clément)Constans (Saint-Sauveur)La Chapelle, Vassieux, Saint-Martin bombardés par l’aviation allemande. Troupe ennemies parachutées sur Vassieux. Demandons bombardement immédiat. Avions promis de tenir trois semaines : temps écoulé depuis la mise en place de notre organisation : six semaines. Demandons ravitaillement en hommes, vivres et matériel. Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre vous si vous ne prenez pas dispositions immédiates et nous serons d’accord avec eux pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n’ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien criminels et lâches.
Source : Paul Dreyfus, Vercors citadelle de liberté, Arthaud 1969 page 220. Dreyfus précise page 343 que ce texte est bien le message original : « Le témoignage de Chavant est formel sur ce point ».

23/07/1944 à 13h45
BobConstans (Saint-Sauveur)Voici situation Vercors. Boches sont encerclés mais par manque mortiers ne pouvons empêcher atterrissage au-dessus. Attaque sur toute périphérie. Communication impossible avec extérieur. Résistons notre mieux. Sommes harcelés par aviation. Envoyez avions chasses sinon sommes tous sacrifiés. Sommes sans nouvelle Faisceau. Paquebot probablement tué. Vu nécessité, radios sont combattants. Adieu.
25/07/1944Hervieux
Koenig (Londres)
Défenses du Vercors percées le 23 juillet après lutte 56 heures. Ai ordonné dispersion par petits groupes en vue reprendre lutte dès que possible. Tous ont fait courageusement leur devoir dans lutte désespérée et emportent la tristesse d’avoir dû céder sous le nombre et d’avoir été abandonnés seuls au moment des combats.
Tableau 9Messages relatifs à la fin des combats

Auteur : Guy Giraud

Dictionnaire des noms et des pseudonymes figurant dans les messages :
Bob : Robert Bennes.
Bayard, Périmètre : colonel Descour.
Clément : Eugène Chavant
DGER : Direction générale des Études et de la Recherche (Alger).
DGSS : Direction générale des Services Spéciaux (Alger).
DTSS : Direction Technique des Services Spéciaux (Alger).
Delphin : Lejeune (Londres – DTSS – Bloc opérationnel).
Faisceau, Joseph : Zeller.
Hervieux : François Huet.
Homo et Arma : terrains aménagés pour recevoir des hommes et des armes.
Paquebot : Jean Tournissa.
Rogers : Francis Cammaerts.
Saint-Sauveur : Constans.

La compagnie Abel

La création de la compagnie Abel

En juin 1943, le lieutenant Alain Le Ray (Bastide, Rouvier), chef militaire du maquis, propose d’en finir avec l’immobilisme des camps de réfractaires établis dans le Vercors, chacun lié à son village nourricier, pour y substituer des unités mobiles divisées en trentaines, auxquelles s’ajouteront des compagnies dites « civiles », réservistes du maquis, également divisées en trentaines, dans les communes du massif (Villard-de-Lans et pays du Royans), mais aussi à Grenoble et dans la région de Romans-sur-Isère. Ces sédentaires se voient confier un double rôle : renseignement, alerte, ravitaillement des réguliers du maquis et mise sur pied immédiate à la demande, en vue des missions du moment.

Le comité de combat du Vercors va ainsi initier la création clandestine de quatre compagnies civiles composées de sédentaires, demeurant à leur domicile mais destinées à être mobilisées le jour J. Deux compagnies doivent être recrutées sur le massif et deux à l’extérieur.

C’est dans ce cadre qu’en juin-juillet 1943, le docteur Samuel (Ravalec, Jacques), membre du comité de combat, demande à André Vincent-Beaume (Sambo), chef de la Résistance du canton de Bourg-de-Péage, de recruter dans les cantons de Romans, Bourg-de-Péage et Saint-Donat-sur-L’Herbasse, une compagnie de 235 volontaires pour renforcer les camps du Vercors lorsque l’ordre de mobilisation sera donné.

André Vincent-Beaume commence aussitôt le recrutement de cadres et de volontaires. Il organise sa compagnie, qui prend l’appellation de 3e compagnie de l’unité W (pour Wolfram, nom de code du Vercors) à partir d’un groupe de professeurs et d’instituteurs syndicalistes, officiers de réserve, sympathisants ou membres de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière), de surcroît anciens condisciples de l’Ecole normale de Valence.

Le recrutement s’effectue rapidement ; dans les ateliers, usines, bureaux, entre camarades, collègues, membres du club de rugby, d’aviron, dans les familles, parmi les patients d’un médecin, d’un dentiste… Il se poursuivra durant les mois qui suivent.

Des séances clandestines d’instruction en matière d’armement sont organisées au domicile de certains résistants. Le dimanche, des volontaires partent dans le Vercors pour suivre une instruction militaire dispensée par les cadres des camps. D’autres font de longues marches dans le Vercors qui, outre l’exercice physique, leur permettent de se familiariser avec les lieux, ce qui leur sera extrêmement utile dans les mois à venir.

En avril 1944, le capitaine Narcisse Geyer (Thivollet), nouveau chef militaire du Vercors, apprend à André Vincent-Beaume que la compagnie de Romans prendra sans doute position en zone nord du Vercors.

En mai, Fernand Crouau (Abel), professeur au collège technique de Romans, lui succède en tant que commandant de la compagnie.

La mobilisation

Dans la soirée du 8 juin, le lieutenant-colonel Marcel Descour (Bayard, Périmètre), chef d’état-major FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) de la région R1, ordonne au chef d’escadrons Huet (Hervieux), nouveau chef militaire du maquis, de mobiliser le Vercors. Bien que le Vercors ne soit censé intervenir qu’au moment d’un débarquement dans le Midi de la France, le lieutenant-colonel Descour considère que l’ordre de mobilisation générale a été donné.

Dans la nuit, celui-ci prépare les instructions. Toutes les unités formées en secret par le comité de combat du Vercors recevront l’ordre n°1 de se rassembler en des points du massif fixés à l’avance. Le 9 juin à midi, Fernand Crouau reçoit par estafette motocycliste le message suivant : « Mobilisation immédiate. Mission : verrouillage de La Balme-de-Rencurel. Liaison demain à 6 heures au pont de la Goule Noire. Hervieux. P.C. minuit ».

L’ordre de mobilisation est transmis aux hommes de la compagnie.

À 17 heures, les volontaires, arrivant de tous les quartiers des deux villes, se rassemblent dans l’enthousiasme sur la place de la gare de tramway de Bourg-de-Péage. Dans une grande animation et au milieu de nombreux curieux en ce jour de marché, environ 400 hommes partent à bord de camions à gazogène en plusieurs convois échelonnés entre 17 h 30-18 h et 19 h 30 et atteignent La Balme-de-Rencurel.

Dans la soirée, les hommes sont répartis en sections, perçoivent leurs premières armes et prennent position autour de La Balme. Dans le village, on organise le ravitaillement et les divers services. Le lendemain matin 10 juin, à 6 heures, le capitaine Crouau se rend au pont de la Goule Noire, où le commandant Huet le rejoint. Il lui rend compte de l’accomplissement de la mission et de son besoin immédiat en armes.

Le Vercors

La compagnie Abel a pour mission la défense de la vallée de la Bourne, de Pont-en-Royans jusqu’aux ponts de la Goule Noire et de Valchevrière.

Des postes de garde sont positionnés le long de la vallée. Le poste le plus avancé à l’ouest est installé à Pont-en-Royans et le plus avancé à l’est est chargé de défendre le pont de la Goule Noire, le pont de Valchevrière et la route de Villard-de-Lans.

Mille tâches absorbent les maquisards et une activité fiévreuse règne dans le village : incorporation des volontaires qui continuent à affluer après le 9 juin, réception des parachutages, distribution des armes, liaisons, renseignement…

Dès le 10 juin, les hommes reçoivent une instruction militaire, notamment à la ferme des Glénats et s’entraînent au combat et au tir. Des instructeurs, dont les Américains de l’Operational Group Justine parachutés dans le Vercors le 29 juin et des gendarmes de Saint-Marcellin, viendront plus tard les former au maniement des armes parachutées qu’ils vont percevoir (fusils, pistolets-mitrailleurs, fusils-mitrailleurs, grenades Gammon, bazookas).

Après l’offensive allemande du 13 juin, des renforts sont acheminés vers Saint-Nizier. Pour garnir ceux-ci, le commandant Huet estime qu’il peut retirer cent hommes à la compagnie Abel. À 4 heures, le capitaine Crouau annonce l’envoi d’un renfort de cent hommes. Mais, la compagnie manquant encore cruellement d’armes, seuls soixante hommes n’ayant perçu que trois grenades chacun peuvent partir de La Balme. Ils vont percevoir à Saint-Nizier des armes parmi celles parachutées la veille.

Le 15, vers 5 heures – 5 heures 30, après un pilonnage d’artillerie de 155 mm, les Allemands attaquent. Très vite, le combat prend un caractère d’extrême violence. Les infiltrations ennemies se font plus profondes. Les maquisards s’accrochent au terrain et plusieurs contre-attaques sont tentées par les différentes unités engagées, dont le détachement de la compagnie Abel. Mais les maquisards sont à peine 300, étirés sur un front de quatre kilomètres, contre environ 1 200 à 2 000 soldats de la Wehrmacht, biens armés et entraînés et appuyés par de l’artillerie. Les combats se poursuivent jusqu’à environ 10 heures. À ce moment, voyant la menace de débordement se préciser sur sa gauche, le commandant Huet donne l’ordre de repli.

Jusqu’au 19 juillet, la compagnie, qui contribue à reformer, avec la compagnie Philippe, le 12e bataillon de chasseurs alpins, va connaître de nombreux mouvements de personnels. 52 volontaires ou appelés vont la rejoindre. 16 hommes vont y être mutés. 78 hommes vont la quitter pour regagner d’autres unités.

Ces semaines vont être mises à profit par le capitaine Crouau pour consolider la défense de son secteur de responsabilité : renforcement des postes de surveillance, récupération d’armes parachutées, liaisons, renseignement sur les mouvements des troupes allemandes et des miliciens…

L’attaque du maquis et la dispersion

Le maquis du Vercors représente pour les Allemands une menace importante sur la sécurité de leurs voies de communication dans la vallée du Rhône et ses bordures.

À compter du 20 juillet, des renseignements recueillis par les maquisards relatifs à d’importants mouvements de troupes allemands autour du Vercors ainsi que des passages de plus en plus fréquents des avions allemands d’observation Fieseler Fi 156 Storch, sont des signes avant-coureurs de l’offensive qui se prépare contre le maquis. Autour du massif s’étend un cordon de surveillance. Des barrages sont établis sur toutes les routes d’accès. La compagnie Abel est mise en état d’alerte. Elle a pour mission de défendre la vallée de la Bourne contre toute attaque lancée à partir du Royans.

Le Vercors est maintenant complètement encerclé.

Le 21 juillet, l’attaque contre le Vercors est lancée par la 157. Reserve-Division. 11 000 à 12 000 Allemands, dont 8 000 de cette division attaquent le Vercors.

Toutes les voies de communication sont harcelées par les avions ennemis qui, à basse altitude, mitraillent les routes et les agglomérations.

6 heures, une colonne allemande forte d’environ 2000 hommes débouche de Saint-Nizier et se dirige vers Lans. À l’issue de rudes combats menés par les maquisards, Villard-de-Lans est atteint à 11 heures et à midi, l’avant-garde allemande occupe Corrençon. Autrans tombe à 17 heures. Les Allemands ont ainsi atteint un objectif important en coupant les éléments français opérant au nord de la Bourne, dont la compagnie Abel, de ceux agissant dans la région de Corrençon au sud de la rivière.

À La Balme-de-Rencurel, une section reçoit l’ordre de se porter à Pont-en-Royans à 6 h 30. Peu après, elle est rembarquée et dirigée vers la Croix-Perrin. Postés sur une crête, les hommes observent les Allemands prendre position du côté de Lans. À 20 heures, ils reçoivent l’ordre de retourner à La Balme-de-Rencurel pour contribuer à la mise en défense du village. Des éléments de la compagnie Abel sont envoyés en renfort pour consolider les lignes de défense tenues notamment par la compagnie Goderville. Ainsi, la section du sous-lieutenant Chazalon (William) est envoyée en renfort à Saint-Martin-en-Vercors. Le capitaine Costa de Beauregard (Durieu), chef de la zone nord du Vercors, la met à disposition du capitaine Prévost (Goderville) dont elle rejoint le PC à Herbouilly. La section de trente hommes, dotée de deux fusils-mitrailleurs, prend position en arrière de Corrençon, avec pour mission d’assurer la défense d’un front de trois kilomètres.

Le 22 juillet, les chasseurs de montagne allemands achèvent la conquête de la zone située au nord de la Bourne et prennent à revers Rencurel.

Au pas de la Balme, un groupe de maquisards chargé d’empêcher les Allemands de pénétrer sur le massif par les sentiers venant de Corrençon et de Château Bernard est attaqué par une colonne ennemie. Trois membres de la compagnie Abel tombent en combattant.

Le 23 juillet, d’autres éléments de la compagnie Abel sont envoyés au Pas de la Sambue et au Pas de l’Âne pour défendre les voies d’accès. Vers 13 heures, les Allemands rompent le dispositif de défense. À 17 heures, l’ordre de dispersion du chef d’escadrons Huet est transmis à la compagnie Abel. À 18 heures, la Goule Noire étant menacée de débordement par Valchevrière et la Haute Valette, le capitaine Crouau donne l’ordre à la compagnie de gagner la forêt des Coulmes avec, comme premier point de ralliement, la Goulandière. Le lieutenant Bleicher (Fred) part immédiatement à l’avant-poste de Pont-en-Royans pour ramener le détachement qui s’y trouve. De retour à La Balme à 21 heures, les hommes partent avec armes, munitions, ravitaillement et véhicules vers 23 heures. Durant la nuit, afin d’éviter l’irruption des Allemands, le lieutenant Lallemand et Aimé Tézier (Maurice) font sauter le pont de la Goule Noire sous le feu de l’ennemi. Le pont de Valchevrière et les deux tunnels sur la route de La Balme et de Saint-Martin sautent également.

Le 24 juillet, le capitaine Crouau donne l’ordre de défendre les routes de Rencurel, Pétouze, Le Charmeil.

Le 25 juillet, un groupe d’hommes de la compagnie Abel fait sauter le pont enjambant la Bourne à Pont-en-Royans. Ils se replient dans la nuit sur Presles.

Répression et exactions

Méthodiquement, les Allemands ratissent le Vercors et se livrent à de violentes exactions. Après avoir sillonné toutes les routes, fouillé les villages, les fermes isolées, les avoir souvent pillés et incendiés, exécuté des civils, les soldats battent la forêt. Ils suivent les haies et les sentiers sans toutefois s’aventurer dans la profondeur des bois.

C’est alors que commence une période démoralisante pour les hommes : se cacher, ne pas tirer. Les défections sont rapidement nombreuses. Étant donné le réseau serré que l’ennemi maintient le long de la vallée de l’Isère, il s’avère impossible de se glisser entre les mailles. Le ravitaillement précaire, les réserves de nourriture ayant été découvertes par les Allemands, l’insuffisance d’eau, l’énervement consécutif à la présence de l’ennemi, l’inaction, altèrent rapidement le moral des hommes et, la plupart du temps sans consulter leurs chefs directs, beaucoup cherchent par une descente sur la plaine un salut précaire. D’autres hommes, qui occupent des avant-postes en petits détachements se retrouvent isolés et sans consignes et tentent également de quitter le Vercors.

Mais plusieurs maquisards de la compagnie Abel sont malheureusement interceptés par les Allemands. Deux sont tués au combat à Malleval, vingt-trois sont fusillés par les Allemands ou les miliciens, notamment à la grotte de La Luire, à Saint-Barthélémy-du-Guâ, à Beauvoir-en-Royans, à Miribel-Lanchâtre, à Saint-Nazaire-en-Royans. Onze réussissent à faire admettre qu’ils ne sont pas des maquisards et sont internés puis transférés en Allemagne. Deux sont portés disparus.

À la fin du mois de juillet, dans la forêt des Coulmes, il ne reste plus que soixante-dix hommes environ de la compagnie Abel qui ont réussi à surmonter les difficultés matérielles et morales. Conscient de l’absence criante de ravitaillement, le capitaine Crouau donne l’ordre de se fractionner par petits groupes de cinq à dix maquisards et de passer dans la plaine dès que possible. La plupart des hommes attendent le départ des Allemands qui débute dans la nuit du 4 au 5 août.

La libération

Le 15 août, l’opération Dragoon est déclenchée et les troupes alliées et françaises débarquent en Provence.

Les maquisards rescapés du Vercors se réorganisent et, en liaison avec les FFI de l’Isère et de la Drôme, multiplient les embuscades contre les troupes allemandes qui entament leur retraite vers le nord à compter du 18 août.

Vers le 20 août, le capitaine Crouau se met à la disposition du commandant Vuchot (Noir), chef du 1er bataillon AS (Armée secrète) Drôme Nord. Bien que la dispersion des hommes depuis le Vercors n’ait pas permis la reconstitution formelle de la compagnie Abel, nombreux sont les membres de cette compagnie qui vont participer aux combats de la libération de Romans le 22 août, notamment aux attaques contre le collège classique et la caserne Bon. Deux anciens de la compagnie sont tués pendant les combats.

Plusieurs anciens de la compagnie Abel vont se voir confier des responsabilités dans Romans nouvellement libérée, au sein des autorités civiles comme des autorités militaires.

Roger Raoux (Morgan) est nommé administrateur de Romans, Pierre Dornic, membre du comité de libération, représentant du Front national et Pierre Cuminal, secrétaire général adjoint de la mairie de Romans.

Le capitaine Crouau sera nommé, dans les premiers jours de septembre, adjoint au commandant du secteur Drôme Nord et de la place de Romans-Bourg-de-Péage, et le lieutenant Bleicher chef du 2e bureau.

Après le retour des Allemands à Romans et Bourg-de-Péage le 27 août, durant lequel deux anciens de la compagnie sont tués, les deux villes sont définitivement libérées le 30 août.

Pour les anciens de la compagnie Abel comme pour leurs camarades des autres unités du Vercors et des maquis de la Drôme, c’est à nouveau l’heure du choix. Des hommes vont être démobilisés et rentrer dans leurs foyers : des jeunes, des soutiens de famille, des agriculteurs, des étudiants et bien sûr les blessés.

Certains vont s’engager dans le bataillon de sécurité en cours de formation qui dépend de la subdivision militaire commandée par le colonel Arnaud.

D’autres enfin, choisissent de poursuivre le combat.

Des anciens de la compagnie Abel vont s’engager dans le 11e régiment de cuirassiers qui quitte Romans le 11 septembre pour aller combattre dans les Vosges et en Alsace jusqu’en février 1945. Trois seront tués à Lure, à Besançon et à Sélestat.

D’autres anciens de la compagnie Abel vont choisir de s’engager au sein de la 2e demi-brigade de la Drôme. Ils vont contribuer à en former le 1er bataillon (bataillon Phi-Phi). Le capitaine Crouau fera fonction de capitaine adjudant-major avant d’en prendre le commandement le 25 octobre.

Le bataillon est officiellement formé le 18 septembre et quitte Romans le 21. Il combat en Haute-Maurienne jusqu’en novembre. Il contribue ensuite à former le 159e régiment d’infanterie alpine qui assure la défense de Strasbourg jusqu’au 23 février 1945 puis rejoint les Alpes et pénètre en Italie à la fin du mois d’avril.

En 1945, environ 270 anciens membres de la compagnie Abel se retrouveront au sein de la section de Romans-Bourg-de-Péage de l’Amicale des Pionniers du Vercors et feront perdurer les liens d’amitié forgés tant dans les jours sombres, que dans les jours glorieux du maquis.

Auteur : Maurice Bleicher
« La compagnie Abel – Romans-sur-Isère – Bourg-de-Péage – maquis du Vercors – 1943-1944 », in bulletin Le Pionnier du Vercors, numéro spécial 2012, ANPCVV (étude d’une soixantaine de pages).

Le « Don suisse » et la reconstruction du Vercors 1944-1948

Fonctionnement et principes du « Don suisse »

A. Organisation du « Don suisse »

Pour les autorités fédérales suisses c’est la tradition de l’activité humanitaire de la Suisse qui se manifeste à travers le principe du « Don suisse ». Sa vocation va au delà de la politique et des Sa vocation va au delà de la politique et des considérations strictement économiques. Il comporte également un aspect moral (1).

Selon les principes dictés par le « Don suisse », chacun, quelles que soient sa nationalité, sa confession ou ses idées politiques, peut faire partie de la catégorie des bénéficiaires (2). Déjà pendant la guerre, la Suisse, dans les limites fixées par sa neutralité, avait apporté, aide et assistance chaque fois que les circonstances s’y sont prêtées. Ainsi de nombreuses entreprises charitables ont été créées en Suisse : aide aux enfants, secours aux réfugiés, assistance médicale, participation active aux innombrables tâches de la Croix-Rouge internationale dont le Vercors a bénéficié.

De plus, pendant la guerre, de nombreuses familles persécutées furent accueillies en Suisse par des particuliers ou des organismes via de nombreuses filières dont les points d’ancrages se situaient à Grenoble et dans les environs. Le « Don suisse » s’inscrivait ainsi dans la continuité de cette tradition humanitaire d’accueil et d’entraide.

Les bases de l’organisation du « Don suisse » ont été posées dans l’arrêté fédéral du 13 décembre 1944. L’organe supérieur est constitué par le comité national dont la présidence a été confiée à Ernst Wetter.

1. Ernst Wetter, ancien conseiller Fédéral, responsable de l’ensemble du « Don suisse ». Source : l’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°48, 30 novembre 1944, 48 pages.

Dix-huit membres constituent l’organe directeur qui est responsable de l’activité du « Don suisse » dans son ensemble. Les divers partis, les organisations humanitaires, les femmes suisses, ainsi que les administrations fédérales importantes pour l’activité du « Don suisse », sont représentés. Pour promouvoir son action, des campagnes de sensibilisation, notamment par voix de presse sont organisées. Des journalistes suisses sillonnent alors l’Europe dévastée. Les reportages sont censés émouvoir la population suisse et engendrer des dons substantiels car « Pour pouvoir solliciter la remise au « Don suisse » d’une partie convenable de la fortune et du revenu, il fallait expliquer largement le but assigné » (3).

2. Cliché issu d’un reportage effectué par un journaliste de « l’Illustré », pour sensibiliser la population suisse aux nécessités du Don (lieu inconnu). Source : l’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°48, 30 novembre 1944, 48 pages.

B. Les collectes en Suisse

Plusieurs formes de collectes furent envisagées. Dans les premiers temps des bulletins de versement furent envoyés dans tous les foyers. Des dons furent faits spontanément, et dans certains cantons, des quêtes à domicile furent réalisées. La collecte dite « Don du travail » se déroula dans les entreprises industrielles et commerciales et fut organisée en partie par les syndicats d’employés et d’ouvriers (sacrifice du salaire d’une journée, etc.). Le « Don de la jeunesse » : Dans toute la Suisse, les écoliers et les écolières répondirent à l’appel et rassemblèrent 590 000 francs (4) récoltés grâce aux maîtres d’école et aux élèves. Le « Don des arts » : des œuvres d’artistes, des livres, furent vendus. Les Suisses à l’étranger contribuèrent de manière significative. Une somme de 477 000 francs fut recueillie dans les marmites placées dans les rues et sur les places pendant l’époque de la collecte. Ce fut le « Don des passants ».

Pour les milieux agricoles et l’artisanat, on avait prévu une contribution en nature mais les paysans et les artisans firent remarquer que d’autres collectes avaient bénéficié de leurs contributions. Les associations féminines suisses organisèrent une vaste collecte d’ustensiles de ménage. Le résultat de la vente des timbres-poste du « Don suisse » a rapporté un montant de 1 314 000 francs.

3. Timbres-Poste édités pour le « Don suisse ». Source : collection privée, droits libres.

Le don des cantons s’est monté à 5 876 000 francs, celui des communes à 3 061 000 francs. Au total, le « Don suisse » pour la France s’éleva entre novembre 1944 et août 1946 à 27 901 millions de francs suisses sur un total de 123 125 millions de francs, soit 23 % de l’aide totale. C’est le montant le plus élevé : l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas arrivent après la France. En juin 1946, deux ans après sa fondation et face à une Europe en ruine, le Conseil national adopta l’ouverture d’un crédit de 20 millions de francs supplémentaire pour la poursuite des œuvres d’entraide internationale. Les régions frontalières : Jura, Alpes en recevront une part importante.

En ce qui concerne le choix des pays à secourir, le « Don suisse » dut se laisser guider par diverses considérations. C’est dans un premier temps le degré des besoins, qui a surtout été déterminant. Les villes touchées par les combats de Normandie : Caen, Falaise, Avranches reçurent des aides conséquentes. Ainsi, les destructions et les massacres survenus dans le Vercors orientèrent naturellement les choix. En outre, le « Don suisse » s’efforça de venir en aide aux Etats voisins et tout spécialement aux régions frontières qui entretenaient des liens économiques, sociaux et culturels bien avant guerre. Des groupes spécifiques dédièrent même leur action uniquement au Vercors ; le « Groupe d’action pour les populations du Vercors », présidé par M. du Bochet du journal de Genève fut un des premiers à envoyer des vivres et des médicaments en novembre 1944 (5).

La chronologie de la Libération des pays a également été déterminante. En été et en automne 1944, les possibilités d’aide s’esquissaient de plus en plus clairement : « Comme l’aide que l’on pourrait apporter immédiatement après la cessation des opérations militaires semblait particulièrement utile, on ne voulut pas retarder plus longtemps l’exécution des premières mesures de secours » (6). Le « Don suisse » commença alors son activité avec une organisation provisoire au mois de novembre 1944 dans le Vercors.

II. L’aide au Vercors

A. Les premiers secours

Après le départ des Allemands du massif du Vercors, 573 bâtiments (habitations, bâtiments agricoles et publics, commerces) sont complètement détruits d’après Peter H. Nash agent de l’U.S. Army Intelligence service et chercheur à l’université de Géographie de Californie (7).

Les destructions sont telles qu’un Comité d’aide et de reconstruction du Vercors est créé le Ier octobre 1944. Dès septembre 1944, Tanant fut chargé de le mettre en place et de l’organiser avant de laisser la place à Eugène Chavant, au mois de novembre 1944. C’est le comité qui sera chargé de recevoir les premiers dons venant de Suisse et de les repartir.

Les premiers secours avaient pour objectif de parer à l’urgence. Cela se manifesta par l’envoi de vivres, de vêtements, de chaussures, de produits pharmaceutiques, et des œuvres en faveur d’enfants et de malades. L’exécution des œuvres de secours est confiée autant que possible à des institutions suisses de bienfaisance spécialisées. Ainsi l’achat de médicaments et du matériel sanitaire est confié à la Croix-Rouge internationale. Le « Don suisse » renonce, par principe, à se procurer des marchandises sur les lieux, car il considère que sa tâche consiste à envoyer des produits supplémentaires là ou règne le besoin. Le « Don suisse » ne prend pas part aux travaux de reconstruction proprement dits. C’est le Comité d’Aide et de Reconstruction du Vercors qui gère, sur place, les dons et les modalités de distribution, en fonction des besoins identifiés par ses membres qui parcourent le plateau pour les recenser.

Dans les premiers jours d’octobre 1944, deux camions avec remorques livrèrent dans le Vercors des produits alimentaires (8). Une deuxième aide substantielle, coordonnée entre la Croix-Rouge et le « Don suisse », fut obtenue par le Comité d’aide et de reconstruction du Vercors9 : 500 kilos de pâtes, 600 kilos de farine, 200 kilos de médicaments et des vêtements usagés furent ainsi expédiés en novembre 1944. Ces actions furent poursuivies les années précédentes. De plus, au début de l’année 1945, les organes définitifs du « Don suisse » entrèrent en fonction assurant ainsi une distribution régulière et mieux ciblée. La liaison avec les autorités françaises fut établie par l’intermédiaire d’un délégué du « Don suisse » résidant à Paris. Les Français ouvrirent, de leur côté, un bureau à Genève qui se tenait en contact avec le « Don suisse ».

B. Reconstruire

Outres les urgences sanitaires et les besoins de première nécessité, le « Don suisse » s’attela rapidement aux travaux de fond à réaliser. Il fallait trouver des logements provisoires aux familles sinistrées. Très rapidement, en prévision de l’hiver, dès la fin de l’année 1944, le « Don suisse », par l’intermédiaire de La Croix-Rouge, « […] déploya une vaste activité en Maurienne et dans le Vercors : elle livra des outils, des machines à travailler le bois et même du bois de construction afin de venir en aide à la population de cette région dans son travail de reconstruction».(10). Des vêtements et des chaussures complétaient régulièrement ces envois ponctuels et ciblés (11).

A partir de l’automne, le climat montagnard du Vercors nécessite d’isoler les maisons partiellement détruites. Ainsi 850 m3 de bois (bastaings, madriers, planches) furent expédiés par train en gare de Saint Hilaire-du-Rosier, au pied du massif. Pour l’isolation 10 000 m2 de carton bitumé et du papier à vitre connu sous le nom de « Pergament » complétaient l’envoi. Il s’agissait alors de panser les plaies avant de commencer le processus de reconstruction à proprement parler. De nombreux outils furent également acheminés grâce au « Don des artisans » : scies à ruban, meules, forges portatives, rabots, vilebrequins pour un montant d’environ 150 000 francs suisses (12).

A l’hiver 1944-1945, des baraques en bois furent édifiées dans le Vercors notamment grâce aux dons en nature. Le « Groupe d’action pour les populations du Vercors », présidé par M. du Bochet du journal de Genève, après avoir envoyé dans l’urgence vivres et médicaments en novembre 1944, attribua au Comité d’aide pour la reconstruction du Vercors, une somme de 100 000 francs (français). Le Comité, présidé par Eugène Chavant, l’utilisa pour fournir des outils et des matériaux aux sinistrés.

Après avoir contribué aux premières nécessités (nourritures, médicament, vêtements, logements provisoires ou en cours de rénovation), le « Don suisse » adapta son aide afin de subvenir aux besoins du Vercors sur le long terme : « Pour sauver véritablement le Vercors il fallait aider le paysan qui n’a plus ni charrue, ni herse, ni char, ni rien qui puisse faciliter les travaux des champs ou les transports » (13).

C. L’agriculture et l’économie

A la sortie de l’hiver 1944/1945, pour relancer les activités agricoles, le « Don suisse » déploya des moyens conséquents car les cheptels étaient décimés : à Vassieux-en-Vecors, 80 % des chevaux ont été volés ou tués, le bétail détruit à 96 % et 100 % des porcs ont été soit tués soit prélevés. De plus les moyens techniques faisaient défaut (charrues, outillage) pour le travail des champs. Au mois de novembre 1944, seules 10 % des terres pouvaient être travaillées en raison de la destruction des machines agricoles et du manque de semences (14).

Ainsi, quarante-deux vaches suisses furent-elles envoyées à Saint-Julien, sept à Corrençon par l’intermédiaire du gouvernement français et dix-sept à Saint-Agnan. Mais selon le rapport de Nash, quelques critiques furent apportées par les agriculteurs, les vaches suisses soit produiraient du lait soit travailleraient, mais pas les deux contrairement à celles du Vercors. Cinq des sept vaches reçues à Corrençon furent abattues, car elles étaient considérées comme sans valeur. A l’été 1945, le journaliste suisse Paul Bourquin rapporte quant à lui que les vaches suisses ont du mal à s’accommoder au climat du Vercors dans un article publié dans L’Illustré (15) .

Afin d’entretenir le cheptel restant, le « Don suisse », envoya par l’intermédiaire de La Croix-Rouge, 345 kilos de clous de ferrage. Cette quantité devait permettre, selon les prévisions, de ferrer 250 chevaux, trois fois chacun et 2000 vaches, deux fois chacune.

4. Le « Don suisse » et l’agriculture : relancer l’activité économique. L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, octobre 1945, 24 pages.

Des outils portatifs individuels furent également livrés, soit environ 1 000 pièces, pour une valeur de 70 000 francs (français-valeur 1944) (16). Une machine à bois Olma, des charrues, des épandeuses à herbe, des arracheuses de pomme de terre et des tracteurs complétaient ce don. Le « Don suisse » disposait d’un service, dirigé par un agronome bernois, dont la mission était d’envoyer des tracteurs aux régions sinistrées. Ainsi cinq tracteurs « Hurlimann » « […] de 65 cv, moteur Diesel, munis des derniers perfectionnements de l’industrie suisse » furent envoyés dans le Vercors. Ils étaient accompagnés, comme le note Nash, d’un chauffeur mécanicien et d’un chauffeur agriculteur. A La Chapelle-en-Vercors, un tracteur suisse fut envoyé au printemps 1945 (17). A Vassieux, deux exemplaires furent mis à disposition pour la fenaison et la moisson du printemps 1945 . De l’engrais et des semences furent distribués soit aux mairies, soit aux coopératives.

5. Tracteurs suisses en action. L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, novembre 1945, 24 pages.

Paul Bourquin, le reporter de l’Illustré (18), note que les tracteurs « Hurlimann » étaient sollicités 20 heures par jour ; des phares furent même installés pour pouvoir travailler à la tombée du jour. Les activités de bûcheronnage étaient également pourvues. Au mois de novembre 1945, 2000 paires de chaussure furent envoyées aux bûcherons et aux paysans du Vercors (19).

6. Bilan du « Don suisse » en chiffres en 1946 ou en 1947 dans le Vercors

NatureQuantitéValeurs en francs en 1944
Bois de charpente750 m 3 1 500 000
Vêtements neufs1059 pièces529 000
Outillage individuel445 caisses445 000
Outillage communes50 caisses
Outillage chantiers10 caisses200 000
Outillage agricole1004 pièces70 000
Couvertures Steppa en papier950 pièces47 500
Clous de ferrage pour chaussures106 000
Clous de ferrage pour chevaux et bovins25 000
Carton bitumé950 rouleaux304 000
Papier à vitre18 rouleaux45 000
Bandages pour charron6 tonnes75 000
Scies à ruban6
Tracteurs52 500 000
Boites de lait condensé1165 kilos60 000
Prêt pour trois ans
Machine à bois1
Forges5
Meules5
Total (évaluation approximative) :6 516 500 francs (français)

Source : collection privée Chavant, « Résumé des principaux résultats obtenus en faveur de la région sinistrée du Vercors par l’action du Comité d’aide et de reconstruction du Vercors », document non daté (probablement 1946) et non signé.

En 1946, dans certains pays où la situation s’était rapidement améliorée ou qui n’avaient plus besoin de secours dans la même proportion que d’autres, le « Don suisse » put cesser son activité. Mais dans le Vercors, si une partie des œuvres furent arrêtées, de nouvelles furent créées.

D. Le quotidien

Le « Don suisse » tenait également à soutenir moralement la population du Vercors. Il tenait ainsi à doubler les efforts de reconstruction économiques et urbanistiques de gestes forts et symboliques. A l’hiver 1944-1945, les 450 caisses d’outils individuels envoyées aux sinistrés étaient accompagnées d’une lettre selon Joseph La Picirella :

« Le peuple suisse a appris avec émotion et stupeur les terribles épreuves qui vous ont frappées en 1944. Les outillages et matériaux de construction qu’il est en mesure de vous envoyer sont bien modestes en regard de tout ce qui vous manque. Veuillez quand même voir en eux le témoignage de sa sympathie la plus profonde et le vœu unanime de tous les Suisses que le Vercors renaisse de ses cendres le plus rapidement possible, grâce au labeur de ses enfants » (20).

A l’automne 1946, des ustensiles de cuisine, récoltés par les associations féminines, des chaussures, du linge de maison, des vêtements et des meubles furent envoyés dans les foyers, à Vassieux-en-Vercors et à La Chapelle-en-Vercors notamment (21). Au premier semestre 1945, une distribution de fruits frais fut effectuée dans les écoles, de Pontarlier et Besançon jusqu’à Marseille en passant par le Vercors. Les écoliers qui purent recevoir une pomme par jour pendant un certain temps bénéficièrent de cette façon d’un apport utile de vitamines, tandis que l’économie suisse trouvait un débouché pour ses fruits vu l’abondance de la récolte.

Des liens très forts entre Suisses et Français se sont établis par l’intermédiaire du « Don suisse ». Les équipes de jeunes chargés de faire fonctionner les tracteurs envoyés dans le Vercors furent des ambassadeurs très appréciés de la population locale (22). Au début de l’année 1946, une « Conférence agricole franco-suisse » tenue à Zurich contribua à renforcer les liens entre le peuple suisse et les habitants du Vercors. Il fut en effet prévu que des familles suisses d’agriculteurs viennent s’installer dans le Vercors pour apporter leur savoir-faire et exploiter les terres laissées à l’abandon par manque de moyens humains et techniques sur la proposition de monsieur Boissière, président du Comité d’Aide et de Reconstruction du Vercors (23) . L’information, relayée auprès des maires des communes sinistrées rencontra un écho très favorable ; l’adjoint au maire de La Chapelle-en-Vercors, note que « […] le conseil municipal rend hommage aux populations rurales de la Suisse dont la valeur morale et sociale est indiscutable. Il verrait volontiers des Suisses s’établir dans la commune à l’avenir » (24).

Auteur : Julien Guillon
septembre 2013

Notes

1 Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 110, Feuille fédérale, n°96, Berne, 7 décembre 1944. (Publications officielles numérisées).
2 Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 110, Feuille fédérale, n°96, Berne, 7 décembre 1944. (Publications officielles numérisées).
3 Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 110, Feuille fédérale, n°96, Berne, 7 décembre 1944. (Publications officielles numérisées).
4 Francs suisses
5 Collection privée Chavant, « Résumé des principaux résultats obtenus en faveur de la Région sinistrée du Vercors par l’action du Comité d’aide et de reconstruction du Vercors », document non daté (probablement 1946) et non signé.
6 Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 110, Feuille fédérale, n°96, Berne, 7 décembre 1944. (Publications officielles numérisées).
7 Nash Peter H., « Le massif du Vercors en 1945. Etude sur les dévastations causées par l’Armée allemande dans une région alpine de la France et de leurs effets sur les traits géographiques ». In : Revue de géographie alpine, 1946, Tome 34, N°1, pp. 87-100.
8 La Picirella (J.), Le martyre de Vassieux-en-Vercors, Chez l’auteur, 1994, 150 pages.
9 Collection privée Chavant, « Résumé des principaux résultats obtenus en faveur de la Région sinistrée du Vercors par l’action du Comité d’Aide et de Reconstruction du Vercors », document non daté (probablement 1946) et non signé.
10 Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 528, Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant le « Don suisse pour les victimes de la guerre » du 19 août 1946, Berne, 1946, 51 pages.
11 Collection privée Chavant, « Résumé des principaux résultats obtenus en faveur de la Région sinistrée du Vercors par l’action du Comité d’aide et de reconstruction du Vercors », document non daté (probablement 1946) et non signé.
12 La Picirella (J.), Le martyre de Vassieux-en-Vercors, Chez l’auteur, 1994, 150 pages.
13 L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, octobre 1945, 24 pages.
14 Nash Peter H., Op. Cit.
15 L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, octobre 1945, 24 pages.
16 Collection privée Chavant, « Résumé des principaux résultats obtenus en faveur de la Région sinistrée du Vercors par l’action du Comité d’Aide et de Reconstruction du Vercors », document non daté (probablement 1946) et non signé.
17 Nash Peter H., « Le massif du Vercors en 1945. Etude sur les dévastations causées par l’Armée allemande dans une région alpine de la France et de leurs effets sur les traits géographiques ». In : Revue de géographie alpine, 1946, Tome 34, N°1, pp. 87-100.
18 L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, octobre 1945, 24 pages.
19 La Picirella (J.), Op. Cit., p. 133.
20 La Picirella (J.), Op. Cit., p. 134.
21 La Picirella (J.), Op. Cit., p. 133.
22 L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, octobre 1945, 24 pages.
23 A.D Drôme, 943W13.
24 A.D Drôme, 943W13. Courrier du 8 avril 1946 adressé au préfet de la Drôme.

Sources archivistiques

Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 110, Feuille fédérale, n°96, Berne, 7 décembre 1944. (Publications officielles numérisées).
Archives Fédérales Suisses, Référence N°10 090 528, Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant le « Don suisse pour les victimes de la guerre » du 19 août 1946, Berne, 1946, 51 pages.
Archives Départementales de la Drôme, 943W13. Reconstruction économique de la Drôme, correspondances, rapports (1944-1948).
Collection privée Chavant, Arrêté N°704 d’Yves Farge relatif au fonctionnement du Comité d’aide et de reconstruction du Vercors, 19 décembre 1944.
Collection privée Chavant, « Résumé des principaux résultats obtenus en faveur de la Région sinistrée du Vercors par l’action du Comité d’Aide et de Reconstruction du Vercors », document non daté (probablement 1946) et non signé.

Sources imprimées

L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°48, 30 novembre 1944, 48 pages.
L’Illustré, revue hebdomadaire, Lausanne, Suisse, n°43, octobre 1945, 24 pages.

Bibliographie

La Picirella (J.), Le martyre de Vassieux-en-Vercors, Chez l’auteur, 1994, 150 pages.
Nash Peter H., « Le massif du Vercors en 1945. Etude sur les dévastations causées par l’Armée allemande dans une région alpine de la France et de leurs effets sur les traits géographiques ». In : Revue de géographie alpine, 1946, Tome 34, N°1, pp. 87-100.
Tanant (P.), Vercors : Haut lieu de France, Souvenirs, Arthaud, Grenoble, 1971, 230 pages.
Vergnon (G.), Le Vercors, Histoire et mémoire d’un maquis, Collection « patrimoine », Les éditions de l’Atelier, Paris, 2002, 256 pages.

La compagnie « Philippe ». De la genèse à août 1944

I. Principes de l’organisation civile et militaire du Vercors

L’entité du « Vercors Résistant » repose sur la complémentarité entre une gouvernance dite civile et une gouvernance militaire. Ce principe fut peu à peu déterminé par les compétences et les métiers respectifs des personnalités réunies autour de Pierre Dalloz qui avait pressenti les possibilités d’utilisations militaires du Vercors : le projet « Montagnards ». Il avait réuni l’inspecteur des Eaux et forêts Rémi Bayle de Jessé, Marcel Pourchier, Yves Farge, journaliste, Aimé Pupin, membre précurseur du Mouvement « Franc-Tireur », Max Chamson, ainsi qu’Alain Le Ray (Rouvier), auteur de l’étude militaire, au sein d’un premier comité entre le mois de mars et le mois d’avril 1943 (1). Alain Le Ray avait pour mission de recruter et d’organiser des camps tandis que les premiers réfractaires au S.T.O. étaient dirigés sur le plateau par les civils de « Franc- Tireur », bien implantés à Grenoble. Au printemps 1943, la distinction entre les civils et les militaires n’étaient pas évidente, mais les jalons de l’organisation du Vercors étaient posés.

« Un fois, deux fois dans la journée, sac au dos, Le Ray vient à la boulangerie demander ‘Martin’ qui n’est pas là. Les gens du village le repèrent, arpentant la place et la rue, le signalent à Vincent- Martin qui n’était averti de rien […] » (2).

Mais peu à peu les relations entre les responsables civils et les militaires, notamment Le Ray, se dessinent : les relations sont empreintes « […] de franchises […] » (3) puis « […] de sympathie […] » (4). Alors même que la toile se tisse, non sans difficultés, le 27 mai 1943 le premier comité du Vercors est décimé par les arrestations.

Au début du mois de juin, Charles Delestraint confie à Alain Le Ray la direction militaire du Vercors. Eugène Chavant (Clément) prend, quant à lui, la direction civile du plateau. Pionnier de la première équipe de « Franc-Tireur » constituée à Grenoble, il hésite puis se décide à quitter sa ville de Saint-Martin-d’Hères pour s’installer définitivement sur le plateau en septembre ou octobre 1943. Ainsi, à partir de juin 1943 et jusqu’au mois de décembre de la même année, Eugène Chavant et Alain Le Ray (Rouvier) tentent de réorganiser le Vercors et de prendre le contrôle de l’ensemble des camps : « A la fin de l’année 1943, l’organisation civile est en place. Chavant a juridiction sur l’ensemble du plateau » (5). Chavant s’impose peu à peu comme un véritable meneur d’hommes et sait se montrer paternaliste, humain.

De son côté, Le Ray s’efforce d’insuffler un esprit militaire à l’organisation du plateau. Après l’avoir divisé en cinq sous-Secteurs lors de son étude menée à la fin de l’hiver 1943, il se calque sur l’organisation civile et adopte une division en deux du plateau, comme l’avait initié « Franc- Tireur » en 1942. Le 10 août 1943, lors de la réunion de d’Arbounouze qui réunit les responsables civils et militaires du plateau, des doctrines de combat sont élaborées et les relations entre les civils et les militaires sont mieux définies. Le Ray note d’abord que les réfractaires doivent devenir des maquisards et propose d’en « […] faire des combattants réguliers » (6) associés aux trentaines issues des hommes des communes, les Compagnies civiles.

« La création de corps francs (nombre, commandement, effectif, armement, cantonnement, emplacement). L’effectif des corps francs sera demandé à la population locale » (7).

Ces corps francs, constitués de civils habitant le plateau, doivent rester sédentaires et ne pas nécessairement être instruits d’un point de vue militaire avant « […] l’occupation de la France par les Alliés » (8), et ce malgré les armes disponibles et les possibilités d’encadrement proposées par les militaires. Ainsi des Compagnies civiles sont créées, à Grenoble, Romans et sur le plateau en lui- même (9), notamment à Villard-de-Lans, Méaudre et Autrans. De 1943 à la mobilisation de juin 1944, ces unités de civils recrutent parmi les locaux. Elles s’apparentent aux trentaines de l’A.S. constituées dans les vallées. Ces sections, chargées d’effectuer des actions de sabotage, dans les vallées, notamment dans les environs de Vinay (10). Elles sont distinctes des camps :

« Les chefs n’ont jamais voulu emmener les jeunes des camps dans ces expéditions mais seulement les membres des compagnies civiles : il est arrivé que les jeunes maquisards ne fussent pas contents d’être relégués loin de l’action elle-même ».

II. Henri Ullmann et l’organisation civile

Avant guerre, Ullmann est un producteur de films important, il a notamment été à l’origine du lancement de Tino Rossi. En 1940, pendant la campagne de France, Henri Ullmann est capitaine au sein du 510e Régiment de chars de Nancy. A l’automne 1941, il réside à Juan-les-Pins. De confession juive, l’ensemble de ses biens est mis sous séquestre. Pourchassé par la Gestapo, il contacte Henri Chabert, qui réside à Grenoble et qu’il a connu au Régiment de Chars. Henri Ullmann arrive au domicile de Chabert à l’automne 1941 (11) affublé d’un grand chapeau qui cache son nez fracturé. Soigné par un médecin, il est en très piteux état. C’est Henri Chabert qui ira chercher son épouse, son fils François âgé de 3 mois et une amie de la famille dans le Midi, et qui placera la famille Ullmann chez sa propre mère, dans sa ferme natale à Rencurel, pendant deux années.

A une date non précisée, il échappe de peu aux GMR qui ont investi un hôtel de La Balme de Rencurel en demandant directement ou se cachait Philippe. Alerté, Ullmann (Philippe) sait que le commandant est un ancien des « chars », il se présente alors spontanément à l’homme qui le serre dans ses bras. Il est convenu qu’il ne sera pas arrêté et les GMR repartent immédiatement.

Le témoignage d’Henri Chabert ne mentionne pas quand et pour quels motifs le contact est établi entre Eugène Samuel (Ravalec) de Villard-de-Lans et Ullmann, mais ce dernier intègre l’organisation civile du Vercors certainement en 1943, à l’hiver 1942-1943 au plus tôt. A l’automne 1943, c’est sous le pseudonyme de Philippe (12) qu’il devient le responsable de la compagnie civile de Villard-de-Lans. Henri Ullmann, lors de son séjour dans le Vercors, entretient encore des contacts avec l’AS dans le Midi ; ceci est corroboré par sa déposition relatant l’interrogatoire subi dans les geôles de la Gestapo à Grenoble le 10 août 1944 : « Chef de la Gestapo qui l’accueille : ‘Philippe, je t’aime, je te connais depuis 1942, je t’ai raté à Cannes, tu t’es f—- de ma gueule à Marseille en 1943, mais en 1944 tu vas crever en 10 minutes’ » (13).

Entre la volonté de créer des Compagnies civiles en août 1943, leur mise en place effective, la mobilisation du 9 juin 1944, et, enfin, la reconstitution des unités militaires, en l’espace de 11 mois et dans la clandestinité, les terminologies entremêlant les conceptions civiles et militaires ont évolué et reflètent certainement la véritable gageure qu’a constitué leur mise en place sur le terrain. Selon le peu de sources dont nous disposons, les termes suivants ont été utilisés : compagnie civile, bataillon, trentaine, sixaine, section, groupe.

Lors de la création théorique des Compagnies civiles à l’été 1943, elles sont rattachées à une commune (Villard-de-Lans ou Autrans) et elles comprennent plusieurs trentaines appelées sections, elles-mêmes composées de sixaines. Ainsi entre la fin de l’année 1943 et la fin du printemps 1944, il est manifeste que l’organisation se militarise peu à peu jusqu’au Débarquement de Normandie qui va engendrer la mobilisation du 9 juin 1944.

III. De la mobilisation à la dispersion

Le 8 juin 1944, à la demande d’Ullmann, Chavant réunit les responsables des Compagnies civiles dans l’école de Rencurel pour leur présenter les rouages du commandement militaire et exposer son voyage à Alger, les assurant ainsi du soutien des Alliés (14). Le même jour à minuit, l’ordre de mobilisation de François Huet est rédigé et envoyé aux différentes compagnies. Il est reçu à Villard-de-Lans dans la matinée du 9 juin par Francisque Troussier, qui remplace Ullmann à la tête de la compagnie. En effet, Philippe prend alors en charge l’ensemble des compagnies civiles issues de Villard-de-Lans, d’Autrans, de Méaudre, en plus des volontaires qui affluent sur le plateau, ce qui crée une grande confusion comme le souligne Henri Chabert : « […] il n’y a pas eu assez de tri à l’arrivée. Pléthore de gars. Trop de gens » (15), tandis que les unités, dans un temps très court, sont en cours de formation. (Mais) le bataillon Philippe est ainsi créé. Il est chargé de mettre en état de défense la partie Nord-Ouest du Vercors. Une compagnie (la deuxième compagnie), créée le 6 juin 1944 et placée sous le commandement du lieutenant Villard (Adrian), renforce le bataillon. Elle installe son PC « […] à la maison forestière de Pétouze et eut pour mission de défendre le secteur s’étendant du Faz près de Saint Pierre-de-Cherennes à Malleval dominant les gorges du Nan » (16). Selon Joseph La Picirella, la section de Villard-de-Lans se rassemble à la Roche-Pointue le 9 vers 12h30 avant de se déployer pour défendre l’accès de la route des Ecouges en investissant les Coulmes (17).

Après les combats de Saint Nizier des 13 et 15 juin 1944, une forme d’accalmie se dessine : le synclinal de Lans/Villard devient un no man’s land. Mais le 24 juin les Allemands testent à nouveau les défenses du Vercors sur le versant Nord-Ouest du plateau. Ils lancent une colonne motorisée dans les gorges des Ecouges, au dessus de Saint Gervais. Elle est stoppée par le bataillon Philippe qui précipite de gros blocs de pierre du haut des falaises. Ils ajustèrent le convoi avec leurs armes automatiques et les Allemands se replièrent (18).

Le 13 juillet 1944, Hervieux reconstitue les unités militaires dissoutes lors de l’invasion de la zone libre. Le bataillon Philippe » devient le 12e BCA, en réserve du 6e BCA ; il regroupe « […] les unités stationnées actuellement à La Balme et Rencurel, volontaires de Romans et de la région Nord du plateau » (19) ; cependant la dénomination reste théorique : en effet, les réalités du terrain et l’accélération des événements auront compromis la création des ces unités. A la date du 9 septembre 1944, la section de Villard-de-Lans et les groupes de Méaudre/Autrans sont assimilés au 6e BCA.

Reconstruire après le départ des troupes allemandes : les réquisitions. Source : AD Isère, 57J36. Vercors.

Le 14 juillet, Philippe donne l’ordre à la section de réserve de se rendre dans le secteur des Ecouges pour renforcer le dispositif de surveillance. Mais il garde à son PC l’adjudant Florentin Brasseur qui est chargé d’accueillir les nouvelles recrues pour les former. En effet, l’afflux de nombreux volontaires se présentant individuellement dans les camps doit être géré afin d’organiser les unités. Pour cela, Brasseur dispose d’un Colt pour former les nouveaux volontaires au maniement des armes. L’entraînement reste une préoccupation majeure : la section de réserve, en rejoignant son lieu d’affectation, doit en profiter « […] pour faire une marche d’entraînement et apprendre à utiliser le terrain contre les vues aériennes » (20).

Le 15 juillet, à 19 heures, des renseignements selon lesquels des Allemands seraient en train de s’infiltrer « […] dans la région au nord d’Autrans » (21) parviennent au lieutenant Planche. L’ordre est donné au sergent Georges Buisson, qui commande les groupes d’Autrans et de Méaudre, de se tenir en alerte et de placer six hommes qui seront chargés de surveiller jour et nuit le Pas de Pertuson et de mettre en batterie des FM.

La vie quotidienne s’organise aussi, des corvées d’eau sont organisées à partir du PC de la cabane forestière de Pétouze, et, contrairement au sort réservé aux autres unités, l’eau fraîche et potable ne pose pas de problèmes : plusieurs sources alimentent les unités, notamment au lieu dit La Citerne, distant d’environ 1,4 kilomètre avec peu de dénivelé. Le 20 juillet, trois jours avant l’ordre de dispersion, « Monsieur Camp militaire du Vercors » achète « légalement » et en argent liquide, cinq kilos de beurre et deux kilos de Gruyère chez un fromager d’Autrans pour une somme de 417 francs réglée par Georges Buisson (22).

Le ravitaillement en vivres, le quotidien. Source : A.D. Isère, 57J36. Vercors

Le 21 juillet, une section de la compagnie Philippe participe à la ligne défense lors de l’infiltration des Allemands par le Val de Lans ; constituée par François Huet, elle s’étend sur une quinzaine de kilomètres, de Valchevrière au nord-ouest jusqu’aux contreforts des rochers de la Balme au sud-est. Cette ligne est primordiale, elle doit interdire aux troupes allemandes l’accès au Vercors central et au Sud du massif (23).

Juste avant la dispersion, et d’après le registre des Pionniers du Vercors, cité par Paul Dreyfus (24), le bataillon Philippe, 12e BCA, compte 464 hommes. Il compte au moins deux compagnies. Au 9 juin, la première compagnie est aux ordres du lieutenant Chambost (Planche), la deuxième comprend 110 hommes. Jusqu’au 14 juillet 1944, une section de réserve est rattachée au PC et elle est mobilisée le 14 juillet. Une section de mitrailleuses, commandée par le caporal Janvier, complète le dispositif.

A titre de comparaison, au 13 juillet 1944, la section « Brasseur-Buisson » comprend 45 hommes, tous armés ; lors de la mobilisation du 9 juin, la Compagnie civile de Villard-de-Lans compte 80 hommes, et 120 à la fin du conflit (25).

Compagnie Ullmann (Philippe) : 464 hommes
Compagnie Brisac (Belmont) : entre 180 et 250 hommes
Compagnie Crouau (Abel) : 400 hommes
Compagnie Piron (Daniel) : 126 hommes

C’est le 23 juillet au soir que Philippe informe Brisac de l’ordre de dispersion par la ligne EDF affectée au maquis. Les consignes sont alors de communiquer par les boîtes aux lettres déjà utilisées et surtout de se replier dans les Coulmes et non pas vers Herbouilly tel qu’initialement prévu, car le pont de La Goule Noire a été dynamité. L’épouse d’Ullmann ainsi que celle d’Henri Chabert sont mises en sûreté chez Roger Glénat, à l’orée du massif forestier.

D’après Brisac, Philippe connaissait par cœur le massif et s’y sentait comme un poisson dans l’eau. Philippe accepte de partager les vivres avec Brisac (26). Dans la journée du 23 juillet, les hommes de Philippe prennent en charge le sergent Robert Godillot de la compagnie Brisac qui s’est fracturé la jambe lors de l’escalade d’une paroi. Le blessé est ramené chez les Philippe, dans une ferme aux Charmeilles. Puis la compagnie se replie à nouveau entre Pétouze et Presles ; les hommes parviennent tous les soirs à obtenir de l’eau fraîche et potable (27). Dans les derniers jours de juillet, Philippe envoie à Brisac un petit stock de nourriture par l’intermédiaire de Guillet, nommé intendant en juin par Costa de Beauregard (Durieu).

Quant à la section de Méaudre, conduite par Georges Buisson, elle se trouve au Pas de Montbrand le 21 juillet au soir. Elle y reste les 22 et 23 juillet où ses membres se heurtent à une patrouille allemande (28). Après avoir passé quelques jours sur le secteur du Pas de la clé, ils décident de revenir sur Méaudre. Le 31 juillet, ils parviennent, à travers bois, au niveau du hameau de la Truite (29). Ils y établissent un contact avec la ferme Durant-Poudret qui avait déjà auparavant ravitaillé le maquis.

Le 7 août, le PC de Philippe se trouve à Presles. A cette date, Brisac et Philippe renouent le contact aux Charmeilles. Une alerte est lancée : les troupes allemandes ratissent les lieux, il faut évacuer dans l’urgence. On décide alors de transporter Robert Godillot dans une brouette car sa blessure est « civile » ; ils souhaitent le faire passer pour un berger blessé et l’envoyer à l’hôpital de Saint-Marcellin grâce à la complicité des populations civiles. Mais les Allemands, qui ont investi le plateau, trouvent Philippe et le blessé, malgré les dénégations du propriétaire de la ferme où ils étaient cachés. Brisac, qui parvient à se cacher, échappe à l’arrestation. Le blessé est exécuté et la ferme pillée de ses vivres. Les Allemands incendient le hameau et repartent avec Philippe. Il est emmené à « la Balme puis au PC du commandant du régiment alpin – Hôtel Splendid à Villard de Lans le 8 août » (30).

Le 9 ou le 10 août, des soldats allemands, commandés par un sous-officier, se rendent à Rencurel, au domicile de la mère d’Henri Chabert. Ils s’emparent de plusieurs objets de valeur. Ils prennent également un uniforme, un sac à dos et des vêtements pour une somme d’environ 50 000 francs (31).

De son côté, la section Buisson reste dans les bois jusqu’au 10 août, au lieu-dit Les Clapiers au dessus du hameau de la Truite, vers Méaudre. Les maquisards sortiront prudemment du bois à partir du 10 août, sans rencontrer l’ennemi.

Le 10 août au soir, Ullmann est conduit dans les locaux de la Gestapo à Grenoble. Le chef de la Gestapo l’accueille en personne et semble se réjouir de son arrestation car il le traquait depuis 1942. En présence d’Esclache et de Waffen SS, il est roué de coups. On lui prend ses affaires personnelles et une somme d’argent correspondant à la caisse du 12e BCA-Vercors qu’il avait sur lui. Seul en cellule, il est menotté dans le dos. Le 15 août, il est à nouveau interrogé et torturé et passe par le supplice de « la baignoire ». Pour gagner du temps il livre peu à peu les noms d’agents de la Gestapo qui jouaient double-jeu. Ullmann réintégre sa cellule après les « interrogatoires ». Mais, suite au débarquement de Provence, les Allemands commencent à évacuer leurs troupes et leurs différents services, dont la Gestapo du cours Berriat. Le 20 août, les troupes Alliées se trouvent dans le Trièves, le 21 elles sont à Vif et, enfin, elles parviennent à Grenoble le 22 août 1944, la ville ayant été désertée par l’ennemi.

Henri Ullmann échappe de peu à la mort. A la fin de la guerre, il deviendra membre des Pionniers du Vercors.

Auteur : Julien Guillon

Notes

1 PICIRELLA (La) (J.), Témoignages sur le Vercors : Drôme-Isère, Chez l’auteur, Imprimerie Rivet, Lyon, 1973, 400 pages.
2 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Léon Vincent-Martin recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1966, 7 pages.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 DREYFUS (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Paris, 1980, 290 pages.
6 MARTIN (J-P.), Alain Le Ray, le devoir de fidélité : un officier alpin au service de la France, 1939-1945, Association des amis du Musée des troupes de montagne, P.U.G., Grenoble, 2000, 215 pages.
7 « Note sur les possibilités d’utilisation militaire du Vercors (Isère et Drôme) », février-mars 1943, document cité in : VERGNON (G.), Le Vercors, Histoire et mémoire d’un maquis, Collection « patrimoine », Les éditions de l’Atelier, paris, 2002, 256 pages.
8 « Note sur les possibilités d’utilisation militaire du Vercors (Isère et Drôme) », février-mars 1943, document cité in : VERGNON (G.), op. cit.
9 VERGNON (G.), op. cit.
10 A.D. Isère, 57J50/1. Témoignage de Marie Louise et Georges Buisson recueilli par Suzanne Silvestre le 31 mai 1975, 8 pages.
11 Nous émettons l’hypothèse que l’arrivée d’Ullmann dans le Vercors se situerait à l’automne 1942, après l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes en novembre 1942 et non en 1941.
12 A.D. Isère, 57J36. Vercors. Témoignage d’Henri Chabert de la compagnie « Philippe » recueilli par Paul Silvestre en juin 1967.
13 A.D. Isère, 57J36. Vercors. « Témoignage en justice du Commandant Philippe, Ullmann » du 30 août 1944 recopié par Paul ou Suzanne Silvestre.
14 DREYFUS (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Grenoble, 1980, page 128.
15 A.D. Isère, 57J36. Vercors. Témoignage d’Henri Chabert de la compagnie « Philippe » recueilli par Paul Silvestre en juin 1967.
16 PICIRELLA (La) (J.), Témoignages sur le Vercors : Drôme-Isère, Chez l’auteur, Imprimerie Rivet, Lyon, édition 1973, page 140.
17 Ibid., pp. 139-140.
18 TANANT (P.), Vercors : Haut lieu de France, Souvenirs, Arthaud, Grenoble, 1971, page 86. DREYFUS (P.), op. cit., page 145.
19 Cité par TANANT (P.), op. cit., annexe page 224.
20 A.D. Isère, 57J36. Vercors. Note du commandant « Philippe ».
21 A.D. Isère, 57J36. Vercors. Note du lieutenant Planche adressée au lieutenant Buisson datée du 15 juillet 1944.
22 A.D. Isère, 57J36. Vercors. Facture du commerçant Isaïe Déprés.
23 DREYFUS (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Grenoble, 1980, page 191.
24 Ibidem, page 157.
25 A.D. Isère, 57J50/1. Témoignage de Clément Beaudoingt recueilli par Suzanne Silvestre le 2 avril 1975, 9 pages.
26 ADI 57J50/1 Témoignage de Paul Brisac recueilli par Paul ou Suzanne Silvestre le 3 novembre 1964, 6 pages. Entretien du 23 juin 1977, 7 pages.
27 A.D. Isère, 57J36. Vercors. Témoignage d’Henri Chabert de la compagnie « Philippe » recueilli par Paul Silvestre en juin 1967.
28 Silvestre (S.) et (P.), Chronique des maquis de l’Isère. 1943-1944, collection «Résistances», P.U.G., Grenoble, 1995, page 321.
29 Ibid.
30 A.D Isère, 57J36. Vercors. « Témoignage en justice du Commandant Philippe, Ullmann » du 30 août 1944 recopié par Paul ou Suzanne Silvestre.
31 Ibid.

Sources bibliographiques

Dreyfus (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Paris, 1980, 290 pages.
Martin (J-P.), Alain Le Ray, le devoir de fidélité : un officier alpin au service de la France, 1939-1945, Association des amis du Musée des troupes de montagne, P.U.G., Grenoble, 2000, 215 pages.
Picirella (La) (J.), Témoignages sur le Vercors : Drôme-Isère, Chez l’auteur, Imprimerie Rivet, Lyon, 1973, 400 pages.
Silvestre (S.) et (P.), Chronique des maquis de l’Isère. 1943-1944, collection « Résistances », P.U.G., Grenoble, 1995, 507 pages.
Tanant (P.), Vercors : Haut lieu de France, Souvenirs, Arthaud, Grenoble, 1971, 230 pages.
Vergnon (G.), Le Vercors, Histoire et mémoire d’un maquis, Collection « patrimoine », Les éditions de l’Atelier, paris, 2002, 256 pages.

Sources archivistiques

A.D. Isère, 57J50
Témoignage de Clément Beaudoingt recueilli par Suzanne Silvestre le 2 avril 1975, 9 pages.
Témoignage de Marie Louise et Georges Buisson recueilli par Suzanne Silvestre le 31 mai 1975, 8 pages
Témoignage d’Amédée Odemard recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1974, 3 pages.
Témoignage de Paul Brisac recueilli par Paul ou Suzanne Silvestre le 3 novembre 1964, 6 pages.
Entretien du 23 juin 1977, 7 pages. de madame Noaro-Glaudas recueilli par Suzanne Silvestre le 3 mars 1975, 2 pages
Témoignage d’Amédée Odemard recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1974, 3 pages.
Témoignage de Léon Vincent-Martin recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1966, 7 pages
A.D. Isère, 57J36. Vercors.
Témoignage d’Henri Chabert de la compagnie « Philippe » recueilli par Paul Silvestre en juin 1967.
Pierre Dalloz, Généralités sur les maquis, Février 1944, Londres. Document communiqué par les A.N. à Suzanne et Paul Silvestre.
Documents (12) relatifs à la section Buisson et au Bataillon « Philippe »

Julien Guillon. Droits réservés -reproduction interdite sans accord de l’auteur

La compagnie Dufau (André Bordenave) Vercors-Nord. Mars 1943 – août 1944

I. Les origines (Mars 1943-6 juin 1944)

A. 1943/1944 : les C3 et C5

A partir du mois de février 1943, de nombreux jeunes réfractaires au STO viennent se réfugier dans le Vercors : des circuits d’acheminement sont mis en place, notamment à Grenoble, d’où ils sont aiguillés vers les massifs environnants dont le Vercors. C’est sur ce plateau que des camps sont créés sous l’impulsion du Mouvement « Franc-Tireur » qui est bien implanté depuis le printemps 1942. Les camps sont numérotés en fonction de la date de leur création : C1 Vercors- Nord (1), C2, C3, etc. Les effectifs sont variables en fonction des arrivées et des saisons, l’hiver 1943/1944 étant particulièrement rude et la répression de plus en plus accrue.

Clairière du Gros Martel. Photo Julien Guillon

Au mois de février 1943, un camp, qui ne porte pas encore son nom, est créé, le futur « C3 ». Des jeunes Pontois arrivent dans le Vercors à la recherche d’un refuge. Le boulanger de Méaudre, Léon Vincent-Martin, et Georges Buisson, un enfant du pays, sollicitent Marcelle Repellin connue pour son « […] très grand cœur » (2) qui accepte de prêter une maison qu’elle n’occupe pas : la ferme du Cru. Ils ne possèdent pas d’armes au début mais quelques fusils de la guerre de 1914/1918 sont récupérés. Les effectifs passent alors de cinq à quarante jeunes hommes en quelques semaines. Lorsque Aimé Pupin intègre le camp au projet du Vercors, il devient le « C.3 ». Pour des raisons de sécurité le camp migre « […] de plus en plus loin dans la forêt » (4), jusqu’à la baraque des Feuilles. L’afflux de réfractaires étant de plus en plus important, le C3 donne naissance à un autre camp, à proximité, le « C.5 », car il faut désormais accueillir 150 jeunes hommes. Au printemps 1943, le C.5 et le C.3 migrent encore plus loin du village, jusqu’au Gros Martel. Les destins des C3 et C5 sont désormais liés. Du 10 mai 1943 au 27 mai 1943, les deux camps s’installent au « Gros Martel » sous des tentes et des branchages.

Aimé Pupin est arrêté ainsi que tous les responsables à l’origine de la création des camps. L’ordre de la dispersion est alors donné : « Ils descendent dans la vallée de l’Isère. D’autres sont acheminés sur Pont-en-Royans et par une filière, gagnent Ambel » (5). Pendant l’été 1943, des réfractaires de l’ancien C.3 sont inquiétés par la police et la milice. La décision est prise de se rendre à nouveau dans le Vercors : « […] avec un esprit de groupe mieux soudés qu’avant » (6). Le C.3 se reconstitue à la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre 1943 sur les hauteurs d’Autrans. Après l’expérience du Gros Martel, les maquisards sont désormais rompus à la discrétion. Ils disposent d’un véritable poste de guet et d’une liaison téléphonique avec le village d’Autrans, en contrebas. Le ravitaillement ainsi que toute la logistique (courriers, tickets d’alimentation) sont assurés par la majorité de la population d’Autrans (7). Ils sont mieux armés et l’encadrement militaire s’impose peu à peu. Selon les directives, ils changent régulièrement le camp d’emplacement. En août, ou septembre 1943, ils investissent une baraque forestière située sur le plateau de Gève puis, au printemps 1944 la cabane des Carteaux sous la direction de Robert Secchi. Le C.3 comprend alors une quarantaine d’hommes.

B. Vers la militarisation

Au début du mois de juin 1943, Charles Delestraint confie à Alain Le Ray la direction militaire du Vercors. Eugène Chavant (Clément) prend, quant à lui, la direction civile du plateau. Le 10 août 1943, lors de la réunion de d’Arbounouze, qui réunit les responsables civils et militaires du plateau, les relations entre les civils et les militaires sont mieux définies. Le Ray propose ainsi que les jeunes réfractaires des camps, issus pour la plupart du S.T.O., aient un encadrement militaire pour en « […] faire des combattants réguliers » (8). Peu à peu, les camps nés du S.T.O. sont donc encadrés par des militaires d’active ou de réserve, en binôme avec les responsables civils issus de « Franc-Tireur ». Ainsi l’influence militaire devient de plus en plus marquée : des sous-officiers ou des officiers sont alors chargés d’encadrer les jeunes des camps non sans heurts avec les maquisards eux-mêmes et les premiers responsables du camp qui voulaient garder une organisation strictement civile. Ainsi, un sous-officier autoritaire venu encadrer le C.3 est même à l’origine d’un début de mutinerie (9). A Autrans, Alain Le Ray, est d’abord fraîchement accueilli par les responsables civils. Mais, peu à peu, les relations sont empreintes « […] de franchises […] » (10) puis « […] de sympathie […] » (11).

Pour mener sa mission et encadrer les camps, Le Ray s’adjoint alors les services d’anciens compagnons d’arme ou de militaires démobilisés, comme Costa de Beauregard, qui, en 1943, est l’un des premiers officiers à rejoindre le comité de combat du Vercors. Il est d’ailleurs homologué F.F.I. le 15 février 1943 (12). En mai 1943, André Bordenave vient renforcer l’ossature militaire, il a alors 24 ans. Il est affecté à la zone Nord du plateau qui comprend les communes d’Autrans, Méaudre, Villard-de-Lans et Corrençon sous les ordres de Le Ray et de Costa de Beauregard (13). Il assure alors l’encadrement global des camps du Vercors Nord. Daniel Bourgeois, caporal-chef d’active (14), qui a le même âge qu’André Bordenave, est, quant à lui, en charge du ravitaillement des quinze camps au début de l’année 1944 (15).

C. La création du C1 : accentuer la militarisation

Le 8 janvier 1944 un autre camp, le C1 Vercors-Nord, voit le jour pour des raisons différentes en comparaison aux C.3 et C.5. Il ne s’agit pas de trouver un refuge, mais bel et bien de préparer l’insurrection et la Libération. Jacques Faisy, du C.1, note qu’il prend le maquis « […] non pour échapper au STO et devenir ‘réfractaire’, mais par idéal » (16) sous l’impulsion de Costa de Beauregard, son ancien chef du 159e RAM. Le responsable du camp est Pierre Trombert et l’effectif est de trois combattants… Le camp s’installe dans la baraque des Guinets, combe de Barbuisson, au Sud-est d’Autrans, à environ 1200 mètres d’altitude. La baraque forestière est alors aménagée et même si les conditions sanitaires sont précaires, le ravitaillement est satisfaisant grâce aux tickets d’alimentation fournis par les complicités établies dans les mairies. Huit jours après sa fondation, des volontaires affluent et le camp compte une trentaine d’hommes au mois de mars. C’est au début du mois, le 2 mars 1944, que Costa de Beauregard (Durieu) est désigné commandant de la zone Nord du Vercors (17), soit de l’ensemble des camps de ce territoire. Puis, au printemps 1944 Bordenave est nommé commandant de compagnie qui comprend théoriquement (18) cent maquisards . Pour des raisons de sécurité, le camp devient itinérant. Au printemps 1944, il s’installe dans une baraque forestière, aux Fenêts, puis à Plénouze en mai 1944. Jusqu’au 6 juin 1944, l’effectif d’environ 30 hommes reste stable. A partir de l’annonce du débarquement allié en Normandie les effectifs gonflent sensiblement.

II. De la mobilisation aux combats (juin-septembre 1944)

A. 9 juin 1944 : La mobilisation et la création de la Compagnie du Vercors- Nord

Faisant suite au débarquement de Normandie, c’est le 7 juin que Bordenave annonce la mobilisation aux hommes du C.3 qui accueillent la nouvelle dans l’euphorie (19). Ainsi, « Le 8 ou 9 juin, les C.1, C.3, C.5 et C.7, forment alors la Compagnie du Vercors-Nord » (20) sous les ordres d’André Bordenave (Dufau). Ils reçoivent plusieurs F.M., et deux mitrailleuses. La Compagnie est chargée de surveiller l’accès Nord du plateau et plus particulièrement l’accès par les gorges d’Engins. Le C.7 est placé directement dans le tunnel qui mène à Engins, le C.5 se déploie sur l’ancienne route qui longe le Furon, le C.1 se dispose sur le tunnel en lui-même et, enfin le C.3 occupe les hauteurs de la route (21). C’est de leurs positions que Gilbert Landau (Gilbert), du C.1, voit affluer les volontaires : « […] se souvient parfaitement des gens qui venaient au Vercors avec leur petite valise comme les ouvriers vont ‘au boulot’ le matin en emportant leur ‘casse-croûte’ ». (22)

B. Les combats de juin et juillet 1944

Le jeudi 15 juin 1944, lors de l’attaque allemande par Saint Nizier, la deuxième section de la compagnie « Dufau » arrive en renfort pendant la nuit. Elle est chargée de tenir l’extrême gauche du dispositif (à l’opposé des Trois Pucelles). A leur tour, les hommes du C.3 sont également mobilisés pour tenir les accès. Les combats sont très durs, les allemands concentrent leur feu et leurs troupes à l’extrémité du plateau de Charvet. Ils parviennent à mettre en batterie leurs armes automatiques qui tiennent en enfilade les positions françaises. L’ordre de repli est donné par Huet (Hervieux) à 9h du matin. Il s’effectue grâce au couvert procuré par les bois (23).

Après les combats de Saint Nizier, du 15 juin au 21 juillet 1944, le Val de Lans-Villard devient un no man’s land. Le 13 juillet 1944, Hervieux reconstitue les unités militaires dissoutes lors de l’invasion de la zone libre. Bordenave est nommé commandant de la 1re compagnie du 6e B.C.A. qui comprend alors 170 hommes (24).

La section d’Henri Cheynis (Noël) (25), chef de l’ex C.5, prend position dans une carrière, aux côtés des hommes de Brisac, au col de La Croix Perrin (26), pour organiser une nouvelle ligne de défense. Jusqu’au 21 juillet, le P.C. de la compagnie se trouve à l’hôtel Barnier d’Autrans. Dufau annonce qu’il ne quittera le village que lorsque les Allemands seraient en mesure de l’encercler (27). Quelques éléments du C.1 sont affectés au début du mois de juillet 1944 dans les environs de Corrençon- en-Vercors pour garder les « Pas » puis ils furent relevés par la compagnie Goderville.

Le 21 juillet, les troupes allemandes investissent le val de Lans, le groupement Feeger se divise alors en deux colonnes, l’une se dirige en direction de Villard-de-Lans et l’autre s’engage sur la route qui mène au col de la Croix-Perrin, pour gagner Autrans et Méaudre. Vers 8h, lorsque les Allemands se présentent, ils ouvrent le feu mais ils sont rapidement débordés par une manœuvre qui vise à contourner la position. A 11h, l’ennemi s’approche du col. Dans l’après midi, le col est sous son emprise. Dufau, alerté, décide de quitter les lieux pour épargner la population civile compromise (28) : « La postière d’Autrans, Dédé Molly (devenue madame Serratrice, épouse d’un chef du C.3) a toujours pris de gros risques même en pleine occupation du plateau par les Allemands. Ils auraient bien eu des renseignements dans les lettres acheminées pour les maquis ». (29)

Quelques heures avant l’arrivée des troupes allemandes, Dufau fait mettre en batterie un F.M. sur le toit d’une Peugeot et gagne Les Jarrands avec sa compagnie. Malgré les tentatives de contre-attaque des hommes de Bordenave, le village d’Autrans est occupé vers 17 h. La section Noël se replie en direction de Méaudre tout en combattant mais Noël est blessé, ainsi que son adjoint, le sergent-chef Georges Jacquet. Incapables de se mouvoir ils restèrent sur place et furent exécutés par les Allemands au lieu-dit des Echarlières. Après de violents combats, les effectifs de la compagnie Dufau sont éparpillés (30). Le C.5, qui comportait environ une trentaine d’hommes au début du mois de juin 1944, aura perdu environ la moitié de son effectif après les combats. Aux Jarrands, lieu de repli, il règne « […] un certain désordre » (31). Le 23, après l’ordre de dispersion, le nomadisme sur le plateau commence.

C. La dispersion et les conditions de vie

A la fin du mois de juillet la compagnie se disperse. L’ossature primitive des camps est alors reprise, l’esprit de groupe prévalant. Les hommes du C.1 reviennent à Plénouze, le 21 ou le 22 juillet, lieu du dernier camp installé avant les combats « […] et survit relativement moins mal que les autres camps. Toutefois il fut un jour où l’on se souvient d’avoir mangé une boîte de Thon de 125 grammes à 4 en 24 heures » (32). L’encadrement militaire du camp permet alors de garder une certaine cohésion, même si les conditions de vie sont précaires : « Le docteur Chauve d’Autrans a opéré un phlegmon aux amygdales avec la lame d’un couteau Opinel… » (33). Ils parviennent à se procurer une vache auprès des paysans d’Engins, mais le terrain, pentu, ne favorise pas son acheminement, ils sont donc obligés de l’achever sur place (34). La viande est cuite de nuit au fond des clapiers (- 30 mètres sous terre environ) pour ne pas dévoiler leur emplacement. Les conditions sanitaires sont médiocres : la dysenterie et les poux n’épargnent pas les hommes.

D. Août 1944, la reprise des combats

Dans les premiers jours du mois d’août, le P.C. de Dufau se trouve dans les Clapiers de Sornin, au dessus d’Autrans, accompagné de l’essentiel du C.1. Le 8 août ils quittent cet emplacement pour rejoindre Barbuisson, bois se trouvant au dessus de Méaudre, afin de reprendre les combats avec les C.3, C.5 et C.1 (35), ainsi que les volontaires pris en charge depuis le 7 juin. C’est au lieu dit de Jaume, entre Villard et Lans, que la première embuscade est tendue. Le 10 août, une forte colonne allemande, venant de Villard, se présente et ils ouvrent le feu avec des F.M. Le bilan est lourd côté allemand : sept tués et trente blessés environ et les maquisards se retirent sans dommages. L’étau allemand étant peu à peu moins pressant, ils rejoignent régulièrement Autrans et obtiennent ainsi des vivres grâce à la population : pommes de terre, soupes, salades et un peu de viande. Le 14 août, à la Croix-Lichoux, sur la route qui mène de Lans à Saint-Nizier, un nouveau convoi allemand est attaqué. Mais lorsque les maquisards aperçoivent des civils à l’intérieur d’un des camions, le feu stoppe aussitôt. Le décrochage est alors compliqué : un maquisard est blessé grièvement, les Allemands reprennent possession du terrain tout en intimidant les habitants du hameau (36).

Le 16 août, une nouvelle tentative d’embuscade est organisée à l’initiative de Durieu et de Dufau. Quelques anciens réfractaires du C.3 refusent d’y prendre part : les troupes sont affaiblies moralement et physiquement, Durieu décide alors de reporter l’opération au lendemain.

Le 17 août, au petit matin, le dispositif est en place : « Dans l’ordre on trouve une mitrailleuse, des grenades, des Gamons et un F.M. » (37). Lorsqu’un convoi allemand arrive, l’ordre de tirer est donné ; l’ennemi se retire en laissant environ trente morts. Les maquisards décrochent sans dommages. Le 21 août, de fortes explosions, qui proviennent de Grenoble, sont entendues.

Le 22 août, les troupes de Dufau descendent à Saint-Gervais, dans le Bas Grésivaudan. L’ensemble des groupes F.F.I. venant du département est regroupé et ils participent à la Libération du Nord-Isère (Beaurepaire, La Côte-Saint-André, Saint-Jean-de-Bournay) avant la marche sur Lyon. Le 3 septembre ils participent à la Libération de Lyon, puis « […] la première compagnie du 6e B.C.A., c’est-à-dire les camps du Vercors Nord, occupe la gare de Perrache » (38).

Auteur : Julien Guillon
Janvier 2014

Notes

1 Le C1 du Vercors-Nord, selon la nomenclature des camps qui attribue les numéros impairs à la zone Nord du plateau et les numéros pairs au Sud à la fin de l’année 1943, ne doit pas être confondu avec le C1 « Camp d’Ambel ».
2 A.D. Isère, 57J50/1. Témoignages de Marie-Louise et Georges Buisson recueillis par Suzanne Silvestre le 31 mai 1975, 8 pages.
3 Ibidem.
4 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Léon Vincent-Martin recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1966, 7 pages.
5 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Léon Vincent-Martin recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1966, 7 pages.
6 Ibidem.
7 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Madame Jarrand recueilli par Suzanne Silvestre le 28 mars 1976, 5 pages.
8 MARTIN (J-P.), Alain Le Ray, le devoir de fidélité : un officier alpin au service de la France, 1939-1945, Association des amis du Musée des troupes de montagne, P.U.G., Grenoble, 2000, 215 pages.
9 A.D. Isère, 57J50/1. Témoignage de Clément Beaudoingt recueilli par Suzanne Silvestre le 2 avril 1975, 9 pages.
10 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Léon Vincent-Martin recueilli par Suzanne Silvestre le 10 septembre 1966, 7 pages.
11 Ibid.
12 Après l’armistice de juin 1940, il est affecté au 3e bataillon du 15/9 à Gap. En novembre 1942, il est démobilisé et se retire à Grenoble. Il est nommé capitaine le 25 septembre 1943. A la reconstitution du 6e BCA, le 15 juillet 1944, il en est nommé chef de corps. Il le conduit au feu, contre la 157e division allemande lors des combats du Vercors. Source : Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.
13 Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.
14 Né le 15 juillet 1919 à Montereau en Seine-et-Marne Il participe à tous les combats de l’été 1944, du Vercors à jusqu’à la libération de Lyon. Engagé avec le 6e BCA en Haute-Maurienne, au printemps 1945, il participe à l’attaque du mont Froid.
15 Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.
16 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Jacques Faisy recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 2 pages.
17 Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.
18 Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.
19 Silvestre (S.) et (P.), Chronique des maquis de l’Isère. 1943-1944, collection « Résistances », P.U.G., Grenoble, 1995, p 216.
20 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Gilbert Landau recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 6 pages.
21 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Gilbert Landau recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 6 pages.
22 A.D. Isère, 57J50/2. Témoignage de Gilbert Landau recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 6 pages.
23 DREYFUS (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Grenoble, 1980, 288 pages.
24 Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.
25 Militaire de carrière, Henri Cheynis appartient au génie militaire. Originaire de La Bâtie-Rolland, où il est né le 19 septembre 1918, il entre au maquis de Malleval en octobre 1943 avec quelques militaires du 6e B.C.A. qui a été dissous par la convention d’armistice. Il échappe de peu à la mort lors de l’attaque du maquis le 29 janvier 1944 par les troupes allemandes. En mars 1944, il est nommé chef du C.5.
26 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Paul Brisac recueilli par Paul ou Suzanne Silvestre le 3 novembre 1964, 6 pages. Entretien du 23 juin 1977, 7 pages.
27 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Monsieur Delaunay recueilli par Suzanne Silvestre le 23 mars 1976, 3 pages.
28 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Monsieur Delaunay recueilli par Suzanne Silvestre le 23 mars 1976, 3 pages.
29 A.D. Isère 57J50/2. Témoignage de Gilbert Landeau recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 6 pages.
30 Ibidem.
31 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Monsieur Delaunay recueilli par Suzanne Silvestre le 23 mars 1976, 3 pages. 32 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Jacques Faisy recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 2 pages.
33 Ibidem.
34 Ibidem.
35 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Paul Brisac recueilli par Paul ou Suzanne Silvestre le 3 novembre 1964, 6 pages. Entretien du 23 juin 1977, 7 pages.
36 A.D. Isère 57J50/1. Témoignage de Jacques Faisy recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 2 pages.
37 Ibidem.
38 Ibidem.

Sources

Bibliographie

Dreyfus (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Paris, 1980, 290 pages.
Martin (J-P.), Alain Le Ray, le devoir de fidélité : un officier alpin au service de la France, 1939-1945, Association des amis du Musée des troupes de montagne, P.U.G., Grenoble, 2000, 215 pages.
Picirella (La) (J.), Témoignages sur le Vercors : Drôme-Isère, Chez l’auteur, Imprimerie Rivet, Lyon, 1973, 400 pages.
Silvestre (S.) et (P.), Chronique des maquis de l’Isère. 1943-1944, collection « Résistances », P.U.G., Grenoble, 1995, 507 pages.
Tanant (P.), Vercors : Haut lieu de France, Souvenirs, Arthaud, Grenoble, 1971, 230 pages.
Vergnon (G.), Le Vercors, Histoire et mémoire d’un maquis, Collection « patrimoine », Les éditions de l’Atelier, paris, 2002, 256 pages.

Archives

AD Isère, 57J50. Témoignages
Témoignage de Paul Brisac recueilli par Paul ou Suzanne Silvestre le 3 novembre 1964, 6 pages. Témoignage du 23 juin 1977, 7 pages.
Témoignage de Gilbert Landeau recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 6 pages. Témoignage de Jacques Faisy recueilli par Suzanne Silvestre le 13 juillet 1964, 2 pages. Témoignage de Monsieur Delaunay recueilli par Suzanne Silvestre le 23 mars 1976, 4 pages. AD Isère, 57J36. Vercors

Multimédia

Collectif, Les militaires dans la Résistance, 1940-1944, Ain, Dauphiné, Savoie, Dictionnaire biographique, CD Rom, Editions Anovi, 2010.

Julien Guillon. Droits réservés -reproduction interdite sans accord de l’auteur

Les combats du 13 juin 1944 à Saint-Nizier racontés par Paul Brisac

Mardi 13 juin
Bonne nuit. Le matin, je me lève de la paille frais et dispos, heureusement ! Grande toilette.
Vers huit heures et demie je suis sur les positions avec Goderville lorsque les paysans travaillant dans les champs viennent nous annoncer : « Les Allemands montent ». Alerte générale. On occupe les emplacements de combat. Durieu présent me demande de prendre le commandement général de la ligne de défense. Je lui conseille de le confier plutôt à Goderville, qui, fantassin, connaît beaucoup mieux que moi la technique du combat que nous allons avoir à mener. Ce qu’il accepte.

L’attaque débute sur notre gauche, tenue par la compagnie Goderville et une section de chez moi. On m’annonce qu’une infiltration ennemie se serait produite de ce côté. J’y vais en faisant le tour par les bois, pour voir ce qui s’y passe, mais à l’entrée d’un glacis découvert qu’il me faudrait traverser, je trouve deux hommes de chez nous qui me signalent que ce glacis est constamment battu par les feux de l’ennemi qui ne se trouve qu’à très faible distance et que Durieu et Goderville sont de l’autre côté. Je n’y ferai donc rien de plus et rentre à mon PC. Mais, craignant que cette infiltration ne soit plus profonde qu’on me l’a dit, je fais demander à Guillet, resté à Saint-Nizier avec l’échelon de surveiller ce secteur, très visible depuis le village et de placer les quelques éléments dont il dispose le long d’un chemin creux descendant vers la ligne de défense de façon à nous éviter d’être tournés par la gauche.

Peu après 13 heures, Hervieux arrive sur les positions. Il est satisfait ; la bagarre dure maintenant depuis plus de quatre heures et, en somme, l’ennemi n’a pris pied nulle part d’une façon profonde. Il nous annonce que des renforts sont attendus, provenant des chasseurs et de quelques autres camps et que, si nous pouvons tenir jusqu’à 16 ou 17 heures, tout ira bien.

Je profite d’un moment de répit pour aller voir ce qui se passe sur la droite de mon secteur, c’est-à-dire au pied des Trois-Pucelles. Je prends trois hommes et pars en patrouille dans les bois. Nous descendons assez loin, essuyons bien quelques coups de feu, mais il ne semble pas y avoir quoi que ce soit d’inquiétant; malheureusement, la densité de la végétation et l’éloignement empêchent de voir, comme je l’espérais, ce qui se passe sur la gauche.

Au retour, je mange rapidement un morceau avec le groupe basé sur la ferme Thorens et rentre à mon PC. J’y trouve André [qui] vient, comme je l’en avais chargé, d’établir avec un groupe, une liaison avec la gauche ; la situation parait rétablie mais les pertes sont lourdes : quatre tués chez nous, chez Goderville, le lieutenant Armand Israël, l’artère fémorale sectionnée par une balle, est mort pendant son transfert à Lans.

À ce moment arrive la section de chasseurs commandée par l’adjudant-chef Chabal, éléments d’active qui ont pris le maquis après la dissolution de l’armée de l’Armistice ; bien entraînés, bien armés, beaucoup de cran. Goderville les envoie contre-attaquer en un point de son secteur où la pression est assez forte. Ils s’y lancent avec un entrain admirable et réussissent parfaitement l’opération, hélas, au prix de trois tués.

Mais entre temps, c’est à la droite de mon secteur, jusque-là assez calme, que la fusillade reprend de plus belle. Les Allemands, maintenus sur notre gauche, essayent de forcer de ce côté-là. Ils ont pu s’infiltrer par un petit chemin creux qui mène presque jusqu’à nos positions. Lorsque j’arrive, on m’annonce qu’ils ne sont plus guère qu’à une trentaine de mètres. Heureusement notre position, ici, est très forte et l’on peut résister sans pertes, bien enterrés dans un autre chemin creux. On les attaque à la grenade et à la mitraillette ; autour de moi des jeunes de 18 à 25 ans, dont la plupart ont vu une arme pour la première fois que depuis trois jours s’y donnent de tout cœur. Ça fait certainement beaucoup plus de bruit que de mal, mais l’ennemi n’ose plus avancer. De plus, André vient de recevoir deux FM (alors que jusqu’ici nous n’en avions pas un) qu’il a pu installer l’un dans le chemin creux, l’autre sur notre droite. Je reste avec lui un bon moment à cet emplacement d’où la vue est meilleure. Des grenades tombent à proximité mais sans faire de dégâts. Sans doute des grenades OF.

Et progressivement la fusillade diminue d’intensité. On a l’impression que l’ennemi est en train de décrocher. Nous montons, André et moi, vers l’hôtel des Trois-Pucelles qui se trouve à mi-chemin de Saint-Nizier d’où l’on a une bonne vue d’ensemble sur le terrain. De là-haut, on voit, à la jumelle, un groupe de civils monter dans notre direction, venant de l’endroit où se trouvaient les Allemands tout à l’heure. On redescend juste à temps pour les recevoir au bout du chemin creux. Ce sont les occupants de l’hôtel Touristic, situé en contrebas de Saint-Nizier et que les Allemands ont occupé dès le début de la journée. Ils nous disent que ceux-ci sont redescendus furieux, qu’ils ont déclaré ne pas s’être attendus à une résistance pareille et avoir été stupéfaits du nombre d’armes automatiques qui leur ont été opposées (alors qu’en réalité nous en avons si peu, mais les mitraillettes font beaucoup de bruit !). Ils ont arrêté le directeur du Touristic et déclaré qu’ils reviendraient demain, à quatre heures, en force (Ils ont même une telle peur que nous ne descendions nous-mêmes les attaquer que, dans la soirée ils déménagent d’urgence tous leurs services qui se trouvent sur la rive gauche du Drac : Fontaine, Seyssins, Seyssinet, etc. pour les ramener dans des lieux plus hospitaliers). On est donc tranquille pour ce soir.

Les principaux artisans du succès de cette journée sont sans conteste les chasseurs de Chabal, qui, par leur contre-attaque hardie, ont dégagé une crête sur laquelle la pression ennemie était forte et c’est certainement le fait de ne pas avoir pu enlever cette position qui les a conduits au décrochage général. Mais les pertes de la journée sont sévères : trois tués, comme déjà dit, chez Chabal dont un blessé achevé au passage par les Allemands avec leur humanité coutumière, sept au total chez moi. J’ignore le nombre exact chez Goderville. Le soir j’ai le triste devoir d’annoncer à Dominique le décès de son frère Armand : il en pique une syncope.

On reste sur les positions. J’y fais porter la soupe que l’infatigable Guillet a fait préparer pour tous les combattants de la journée, soit en comptant matin et soir, environ 700 rations.

On nous annonce une relève prochaine. Effectivement, vers 22 heures arrive un lieutenant Payot (Lt. Point), du 2 RAD, qui sera tué un mois plus tard lors du bombardement du Rousset et vient de la zone sud). Vers une heure et demie les relèves sont terminées, sauf sur la droite, le commandement n’ayant plus personne à nous envoyer. Je vais voir Di Maria qui tient ce secteur et lui propose d’aller se reposer en ne laissant sur place qu’une garde réduite. Il est en effet peu probable qu’il y ait quelque chose avant le lendemain. Il refuse de quitter son poste, ne voulant pas courir le risque d’infiltration en son absence.

Je remonte à Saint-Nizier et, vers trois heures et demie, me mets dans la paille.

Auteur : Paul Brisac
Souvenirs du Vercors, août 1943 – septembre 1944, L’Harmattan, 2015.

A lire également (fichiers en téléchargement)
Un récit paru dans un journal qui pourrait être le bulletin de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance, à une date qui n’est pas connue. Pour nous communiquer cette information, merci de nous contacter.
Un article de François Huet daté du 11 juin 1946.
Le récit de Pierre Tanant, chef d’état-major.
Le récit de Yves Pérotin
Voir également le récit
de Roland Bechmann dans le Pionnier du Vercors n°49, janvier 1985

Types de combattants dans le Vercors

Quatre sortes de combattants coexistèrent parmi les maquisards du Vercors. Les plus anciens provenaient des camps, établis dès le début de l’année 1943 pour accueillir les réfractaires du STO. Ils bénéficièrent d’un certain entraînement militaire et en tout cas d’une accoutumance à la vie en montagne (exemple : Camp d’Ambel). Ces éléments regardaient avec une certaine condescendance les « nouveaux » qui montèrent au Vercors en juin 1944.

Les seconds appartenaient aux maquis créés par d’anciens militaires de l’Armée d’Armistice. À Malleval, l’abbé Pierre et l’ORA installèrent d’anciens chasseurs alpins, fraîchement démobilisés de l’Armée d’Armistice, et ayant une véritable expérience militaire, bénéficiant au départ d’une autonomie totale puisque installés par l’ORA alors que les camps dépendaient de Franc-Tireur. À cette catégorie appartenaient aussi les éléments du 11 Régiment de cuirassiers commandés par Narcisse Geyer et dont les qualités manœuvrières firent l’admiration et l’envie des « civils ».
Les compagnies civiles formaient le troisième groupe, généralement des citadins des villes environnantes, Grenoble, Romans, qui montèrent au Vercors lors de la mobilisation des 8-10 juin 1944 et qui, souvent, ne possédaient aucune expérience militaire. Tel fut le cas de la compagnie BrisacBelmont. On peut classer avec eux les « sédentaires » du Vercors, habitants permanents chargés de la logistique puis mobilisés après le 9 juin.
Enfin les groupes francs (GF), peu nombreux mais le plus souvent – pas toujours car ils recrutèrent de tout jeunes gens – rompus au maniement des armes et des explosifs, qui cherchèrent refuge dans le massif à cause de la répression allemande (cas du groupe Vallier). Leur audace, mais aussi leur indiscipline – ils n’obéissaient souvent qu’à leurs chefs directs – causèrent quelques tracas aux autorités civiles et militaires du Vercors.

À ces quatre types de maquisards, il faudrait ajouter les isolés qui, le bouche à oreille aidant, montèrent spontanément au Vercors après le 6 juin. Nombre de jeunes se rendirent dans le massif dès le 7 juin bien au-delà de ce qui était attendu. Cet afflux créa des problèmes d’accueil et d’entraînement alors que les cadres manquaient. Nous devons y joindre aussi les jeunes gens mobilisés par les autorités civiles – Yves Farge y participa en personne – qui n’hésitèrent pas pour cela à organiser une opération à Villard-de-Lans le 16 juillet pour « ramasser » cent cinquante jeunes incorporés ensuite dans les unités de la Résistance.

La question de la coordination de ces divers éléments plutôt disparates se posa assez rapidement. Le rapport d’une commission de la Résistance créée après l’accrochage entre GF et Allemands à Saint-Nizier en mars 1944, donc avant l’arrivée de F. Huet, soulignait « le manque d’unité » des divers éléments armés du Vercors et « le désordre indescriptible dans l’exécution des coups de main opérés par les GF». Le rapport précisait le but final de cette commission: « transformer l’autorité virtuelle de l’état-major en une autorité réelle ». Un des moyens utilisés par

François Huet consista à reconstituer les unités de l’Armée d’Armistice afin d’uniformiser les comportements et créer un esprit de corps subsumant les clivages anciens-nouveaux, civils-militaires, instruits-néophytes, en créant en quelque sorte un premier amalgame. Les GF conservèrent cependant une part d’autonomie, tandis qu’après l’ordre de dispersion, paradoxalement, des unités de la Drôme, ne dépendant pas de F. Huet, se réfugièrent dans le massif, à l’Écharasson par exemple.

Auteur : Jean-William Dereymez
Sources :
Archives du service historique de la défense (dossiers Vercors).
Vergnon Gilles,
Résistance dans le Vercors, Histoire et lieux de mémoire, Grenoble, Glénat, 2012, 191 pages.
Association Nationale des Pionniers et Combattants Volontaires du Vercors,
Le Vercors raconté par ceux qui l’ont vécu, 26 rue Claude Genin-38100 Grenoble, 431 pages.
Bernet Jean-Pierre,
Les maquis de Rhône-Alpes, préfacé par Alain le Ray. Archives du musée de Vassieux, dossier « gendarmerie ».
Archive de Daniel Huillier, la Résistance, «souvenir d’un adolescent».
Des résistants polonais en Vercors, Presses universitaires de Grenoble. Marillier Richard, Vercors, 1943-1944, le malentendu permanent, éditions de l’Armançon, 2003, 202 pages.
Tanant Pierre,
Vercors haut lieu de France, éditions Arthaud, 1948, 237 pages. Dernière édition en juin 2014 aux éditions de la Thébaïde.

Une mobilisation trop précoce ?

Le 9 juin 1944, trois jours après le débarquement en Normandie, les compagnies civiles reçurent l’ordre de monter au Vercors. On peut s’interroger sur le caractère précoce de cette mobilisation : le « Plan Montagnards » prévoyait en effet que le massif entrerait en action lors du débarquement de Provence. Peu de résistants de la région imaginaient que celui-ci n’interviendrait que deux mois et demi après celui de Normandie, ignorant les problèmes logistiques posés par le transfert des navires de débarquement de la Manche à la Méditerranée et par le regroupement de l’aviation. Cette focalisation des Anglo-Américains sur les moyens à mettre en œuvre pour l’opération Anvil-Dragoon a certainement nui au Plan Montagnards, relégué au second plan quand il ne fut pas carrément ignoré des états-majors alliés. D’autant que la réussite du débarquement en Normandie ne parut totale qu’au bout de plusieurs semaines : les Allemands qui réprimèrent le maquis du Vercors pensaient ensuite partir combattre en Normandie et « rejeter les Alliés à la mer ». François Huet, bien que peu convaincu du bien-fondé de cette mobilisation, obéit aux ordres, réitérés de manière insistante par Marcel Descour, chef des FFI des VII et XIV régions. Eugène Chavant aurait, à l’inverse, poussé à l’action immédiate.
Cette mobilisation précoce pouvait tenir à plusieurs raisons. D’abord, les ordres de la France libre, réaffirmés par le discours du général de Gaulle à la BBC le soir du 6 juin et résumés dans le plan Caïman ordonnant de manière ambiguë aux FFI « dès le débarquement des Alliés, [d’]intervenir directement dans la bataille, en liaison avec les forces alliées, par des actions visant à la libération de zones entières du territoire ». Ensuite, les incitations de certaines organisations, comme celles proches des communistes, dans le droit fil de leur position lors de la réunion « Monaco ». Un tract du Parti communiste, distribué le 6 juin à Grenoble, incitait les « Dauphinois et les Dauphinoises » à créer « partout des groupes de combat ». « N’attendez pas pour mener le combat, poursuivait le texte. Il n’y a pas de jour J ni d’heure H pour ceux qui veulent libérer le sol de la patrie ». Cette impatience rejoignait celle d’une partie de l’opinion, particulièrement dans la jeunesse. Le débarquement se faisait tellement attendre que « croire au débarquement » était devenu l’équivalent de « croire au Père Noël ». Cette précipitation allait à l’encontre des desiderata du général Eisenhower ne souhaitant pas que la population française « se soulève » et « s’expose à des sacrifices inutiles, en des régions qui n’avaient pas encore d’intérêt pour nous », préférant qu’« elle se réserve pour le moment où nous lui demanderions son appui ».

En tout cas, s’il permettait de libérer les résistants des affres de l’attente, l’ordre de mobilisation, lancé presque trois mois avant l’arrivée des Alliés, donna aussi aux Allemands plus d’un mois pour repérer les éléments armés dans le Vercors et les détruire. Répit d’autant plus précieux que leur capacité de réaction s’avéra beaucoup plus rapide que celle de la lourde machine alliée, comme ils le prouvèrent en organisant l’opération aéroportée de Vassieux-en-Vercors. L’ordre de mobilisation plaçait les maquisards du Vercors en position défensive, ce que ne prévoyait pas le Plan Montagnards dont la conception reposait sur l’idée du Vercors comme une base de départ pour harceler les arrières des troupes allemandes faisant face aux Alliés venant du sud.

Auteur : Jean-William Dereymez

La mission Eucalyptus

Le 29 juin 1944, la mission Eucalyptus est parachutée sur le terrain Taille-Crayon de Vassieux-en-Vercors. Elle est composée, outre du chef de mission, le major Desmond Longe, et de son second, John Vincent Houseman, de trois officiers, dont le Français Yves Croix de la DGSS, et de deux opérateurs radio : l’agent franco-américain de l’OSS, André Pecquet, Paray, Bavarois, ainsi que le Français Philippe Saillard, Touareg. La mission s’installe à proximité de Saint-Martin-en-Vercors. Elle sera renforcée de trois autres officiers français, dont Adrien Conus, Volume, le 10 juillet 1944.

Elle doit évaluer la situation dans le massif, instruire les maquisards à l’utilisation des armes parachutées, les former au combat de type guérilla. Elle a souvent réclamé le parachutage d’armes lourdes, demandes restées lettre morte de la part des alliés et du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) d’Alger. 

Pour en savoir plus : Chronologie des structures des services secrets (G. Giraud) Les services secrets et les liaisons radio dans le Vercors (G. Giraud) Les liaisons extérieures et intérieures (J-W. Dereymez et P. Huet) Les organismes extérieurs au Vercors – les services alliés (G. Giraud) Les services de renseignement français : du SR au BCRA (G. Giraud) Sélection de messages (G. Giraud et P. Huet)

Auteur : Guy Giraud
Sources :
Jean-Pierre Bernet, Les maquis de Rhône-Alpes, préfacé par Alain Le Ray, Panazol, Editions Lavauzelle, 1987.
Richard Marillier, 
Vercors, 1943-1944, le malentendu permanent, Précy-sur-Thil, éditions de l’Armançon, 2003, 202 pages.
Fernand Rude,
Grenoble et le Vercors, de la Résistance à la Libération, Grenoble, Presse Universitaires de Grenoble (PUG), janvier 2004.
Pierre Tanant, 
Vercors haut lieu de France, Grenoble, éditions Arthaud, 1948, 237 pages. Dernière édition en juin 2014 aux éditions de la Thébaïde.
Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, n° 49, janvier 1963.

La compagnie Paul Brisac (Belmont)

La genèse (août 1943-juin 1944)

Pendant la guerre, Paul Brisac est ingénieur dans l’usine Merlin Gerin à Grenoble, véritable pépinière de la Résistance dauphinoise. Officier
d’artillerie de réserve, il a tenté plusieurs fois de rejoindre Alger par l’Espagne mais sans succès. En août 1943, il est discrètement abordé sur son lieu de travail par un collègue, Georges Longue, qui souhaite avoir son avis sur la Résistance. Arguant qu’il ne souhaitait pas s’engager en politique, il exprima néanmoins ses sentiments antiallemands et souhaitait se rendre disponible pour des actions militaires. Mis en relation avec Bob Tarze, ce dernier lui présenta les premiers contours de projets militaires sans lui préciser qu’il s’agissait du Vercors. Cela consistait à « […] bloquer un certain point d’appui et de tenir quelques jours, le temps nécessaire à des troupes aéroportées de débarquer à l‘abri des Allemands ; ensuite on se replierait et on laisserait le champ libre 1 ». Le 31 octobre 1943, il rencontre Alain Le Ray dans la ferme de Samuel Ravalec (Jacques), un des pionniers du Vercors, afin d’obtenir des renseignements supplémentaires et ainsi mettre en place la compagnie civile de Grenoble. La confiance entre Brisac est immédiatement établie : les deux hommes se connaissant pour avoir habité dans le même immeuble, rue Marceau à Grenoble. La formation de compagnies civiles en piémont du massif, à l’image de son pendant drômois, la compagnie Abel dans les environs de Romans-sur-Isère, devait assurer une véritable ceinture de protection. Ainsi le dispositif devait être mobilisable rapidement pour pouvoir assurer la couverture des opérations aériennes. Si le Vercors dispose de falaises naturelles qui érigent le plateau en forteresse, il n’en demeure pas moins que des faiblesses avaient été décelées lors de l’élaboration du plan Montagnards : l’accès par Saint-Nizier était l’objet d’inquiétudes qui allaient se révéler justifiées. La compagnie civile de Grenoble fut ainsi mise en place pour protéger l’accès du plateau en créant un point de défense sur Saint-Nizier.
De retour à Grenoble, Paul Brisac s’enquerra d’organiser sa compagnie. Il recruta principalement dans son usine, à Merlin-Gérin, mais pas directement par son intermédiaire ; ne souhaitant pas trop s’exposer c’est, entre autres, le comptable Guillet et Henri Cocat qui se chargèrent de prendre contact « […] sur un terrain connu d’avance 2 ». En revanche, de son côté, il s’appuie sur des amis sûrs pour recruter. Le sous-lieutenant d’active André Paccalet, de Saint-Martin-d’Hères, est chargé d’amener un autre contingent à la compagnie ainsi que Gagnaire, le maire de Saint-Martin-le-Vinoux. La jeunesse caractérise la compagnie, certaines recrues ont 16 ans et n’ont pas effectué leur service militaire. Le jeune frère d’André Paccalet, qui prendra part aux combats, a 14 ans. Elle n’appartient à aucun mouvement de Résistance, elle n’entre pas dans les desseins de Franc-Tireur : elle a un caractère strictement militaire et est apolitique.    
Selon les plans de Le Ray, cette compagnie devait rester sédentaire et les membres, conserver leur emploi. Il fut prévu qu’un message donnant l’ordre de mobilisation leur soit adressé afin de gagner leur position. Tapis dans l’ombre des falaises de calcaire, à l’automne 1943, la compagnie continue à accueillir des recrues et certains se font rafler lors la manifestation du 11 novembre à Grenoble. Les consignes de sécurité sont pourtant drastiques : sans observer le strict cloisonnement des F.T.P (Francs-Tireurs et Partisans), les personnes ne se connaissent que par petits groupes et Brisac n’hésite pas à quitter son domicile lorsque des personnes sont arrêtées sur le plateau.  
Par choix tactiques inhérents à la sédentarisation et à la mise en sommeil de la compagnie qui doit attendre le signal de la mobilisation, les exercices effectués près de Méaudre à partir de mars 1944 sont restreints ; il n’a y pas de tirs à balle réelle pour préserver la discrétion. Seules quelques démonstrations consistant à démonter et à remonter une arme sont réalisées en fonction des disponibilités des membres, souvent le samedi ou le dimanche.  
À la veille du débarquement, 150 personnes de la compagnie sont mobilisables et connaissent les positions à tenir.

La mobilisation

Le 9 juin 1944 au matin, François Huet (Hervieux) donne l’ordre à la compagnie de prendre position. Mais c’est dans un ordre dispersé que les membres se rendirent sur le plateau. Dès l’annonce du débarquement, quelques membres s’étaient déjà rendus sur le plateau, aux Fenêts, leur lieu d’entraînement. De son côté, Henri Cocat de Merin Gérin alerta immédiatement les « Merger » : selon les ordres d’Hervieux, les cars Huillier les attendent au-dessus de Sassenage à 15h pour les prendre en charge et ainsi gagner les hauteurs. Enfin le sous-lieutenant Paccalet, qui après un détour par Pont-de-Claix et les Pas en raison des supposés contrôles allemands sur les ponts du Drac qui mènent au Vercors, se trouva enfin sur lesdites positions avec deux jours de retard.
Les premiers arrivants, soit environ 50 hommes, sont hébergés à la ferme de La Croix Lichou entre Lans et Saint-Nizier le 9 juin 1944 au soir. L’accueil est chaleureux, mais ils n’ont pas d’armes. E. Chavant (Clément) qui leur rend visite, s’étonne, pensant qu’ils avaient constitué une réserve dans la vallée. Ils sont alors pourvus de fusils anglais, de nombreuses grenades et de mitraillettes et les contacts sont établis avec le P.C. d’ Hervieux. Brisac demande aussitôt un délai supplémentaire pour prendre en main les lieux prévus en raison du retard du sous-lieutenant Paccalet.

L’engagement,  le combat de Saint-Nizier, la suite des combats

F. Huet (Hervieux) attend des « […] événements graves ». Il maintient les plans initiaux. Le village de Saint-Nizier et ses hameaux sont alors investis par la compagnie le 10 juin à 15 heures. La jonction avec la compagnie de Jean Prévost (Goderville), forte de 60 hommes, est réalisée et de nombreux volontaires sont incorporés. Le drapeau français flotte sur les Trois Pucelles. Le 13 juin 1944, les Allemands passent à l’offensive. Les compagnies Brisac et Goderville réussirent à repousser l’assaut, même si pour Paul Brisac, cette opération consistait à sonder l’état des troupes. Dans l’après-midi, la section du 6e B.C.A., conduite par Chabal, allait donner un appui décisif aux effectifs déjà engagés. Le 15 juin, les Allemands reprennent l’offensive tout en étant supérieurement armés et avec un contingent plus important. La compagnie est débordée et doit se retirer à l’intérieur du plateau. À partir du 15 juin, l’axe Lans-en-Vercors / Villard-de-Lans devient un no man’s land, la compagnie Brisac est alors chargée de mettre en place une autre ligne de défense pour tenir la vallée d’Autrans-Méaudre. Les hommes installent plusieurs points d’appui : un situé à la carrière « Converso » sur la route qui mène de Lans-en-Vercors au col de La Croix-Perrin, au col en lui-même, et une mitrailleuse est installée aux Jarrands, à l’entrée des gorges de La Bourne. Des tours de garde sont organisés, les troupes au repos reprennent l’entraînement et le maniement des armes. Le 16 juillet, ils participent au terrassement du terrain de Vassieux. Des reconnaissances sont effectuées en direction de Saint-Nizier pour observer les positions allemandes. Les informations qui proviennent des nombreux canaux de renseignement annoncent le démarrage imminent d’opérations de l’armée allemande.
Le 21 juillet, des avions de chasse allemands accompagnent les planeurs chargés de troupes sur le terrain de Vassieux. En parallèle, une colonne allemande forte de plusieurs centaines d’hommes atteint Saint-Nizier pour investir le plateau. Une partie des troupes occupe peu à peu tous les hameaux de Lans à Villard, tandis que l’autre tente de s’emparer des crêtes de La Molière, au-dessus d’Engins et du col de La Croix-Perrin qui mène à Autrans et Méaudre. Elle se trouve confrontée aux postes de surveillance de la compagnie, renforcée au préalable par des hommes des camps établis dès la fin de l’hiver 1943 et par le groupe « Noël » de la compagnie Bordenave (Dufau). Mais, sous la pression et malgré les tentatives de contreattaque, le Col est sous la coupe allemande dans l’après-midi du 21 juillet. À 17 heures, le bourg d’Autrans est occupé. La compagnie se replia alors sur Haute-Valette, qui domine le pont de La Goule noire qu’on a fait sauter. Le 23 juillet, elle occupe Les Jarrands sans entrer en contact avec les troupes allemandes. Dans la matinée, Huet leur donne l’ordre d’aller soulager le flanc de Chabal, qui se trouve au Belvédère de Valchevrière. Cependant, lors de leur déplacement, un paysan signale qu’une voiture allemande d’état-major est attendue sur la route qui mène à Bois Barbu. Brisac décide alors de tendre une embuscade. Mais seul un convoi de ravitaillement composé de quelques soldats polonais se présente. Après un accrochage léger, la compagnie retourne aux Jarrands et apprend l’ordre de repli.

La dispersion, la poursuite du combat

La compagnie avait comme consigne, en cas de pression allemande trop forte, de se rendre dans la forêt d’Herbouilly, via Valchevrière.
L’étau allemand changea néanmoins ses plans. S’étant rendue sur le Plateau tardivement, elle ne connaissait pas les autres points de chute prévus, et peu les sentiers. Après un discours visant à remonter le moral des troupes, toutes les sections sont déclarées autonomes. Il est alors conseillé de se fondre dans la végétation en nomadisant, même si les recrues sont libres de quitter le Vercors. Les deux tiers de la compagnie décident de rester sur le Plateau. Ceux qui se rendirent dans les vallées se firent cueillir ou se noyèrent dans l’Isère.   Le 24 juillet, après avoir partagé le reste de nourriture et d’armes, la compagnie se scinde et commence une vie de nomade à travers le Vercors. Les consignes sont alors simples : les sections ne doivent en aucun cas accrocher les Allemands pour éviter les pertes inutiles et les représailles sur la population et, si possible, un homme doit maintenir les relais entre les groupes. La section d’Henri Cocat s’installe au Col du Mont-Noir, au-dessus de Rencurel, pour observer les mouvements des troupes ennemies. C’est au-dessus de Choranche, dans la forêt des Coulmes, au lieu-dit de « La Sarna », qu’une partie de la compagnie décide de s’installer dans un premier temps.  
Dès les premiers jours, l’accès à l’eau et le ravitaillement posèrent problème ; de plus, les points d’eau étaient surveillés par les Allemands. Dans les premiers jours, les sections vivent de gruyère et de pois chiches avant de pouvoir s’approvisionner auprès des fermes alors que les Allemands imposèrent un ratissage de moins en moins serré.    Quelques accrochages accidentels se produisirent : le 28 juillet, vers le Col de Romeyère, des hommes de la mission « Paquebot » et quelques membres de la compagnie prennent à partie un convoi allemand. Le 4 août, une patrouille subit le feu des Allemands, le sous-lieutenant André Paccalet est blessé et soigné à Rencurel par le Docteur Jean Bernard. Après deux semaines d’errance, le contact est rétabli avec Costa de Beauregard (Durieu), le 6 août et avec la compagnie Philippe dont le P.C. est à Presles, à quelques kilomètres, le 7.
Mais les lieux furent repérés : les Allemands décidèrent d’incendier les fermes et achevèrent les blessés. Brisac échappa de justesse à la mort.
Ainsi, vers le 12 août, des éléments de la compagnie Bernard décidèrent de se rendre aux Feneys, au nord d’Autrans, à un endroit bien connu pour leur avoir servi de terrain d’entraînement au tir lors du printemps. Placés en des lieux plus sûrs, ils lancèrent, le 19 août, des opérations d’observation jusqu’à Vinay, dans le Bas Grésivaudan et au-dessus des marais de Cras. D’après les observateurs, les Allemands étaient en train de délaisser le Vercors et le Dauphiné, et, après une dernière reconnaissance en direction d’Autrans le 21 août, il fut décidé de descendre du Plateau, par Saint-Gervais. La compagnie Brisac ne comptait plus que 40 hommes sur les 150 engagés lors de la bataille de Saint-Nizier.

Auteurs : Julien Guillon et Guy Giraud
Sources :
A.D. Isère, 57J50/1. Témoignages de Paul Brisac recueillis par Suzanne
Silvestre le 3 novembre 1964, 6 pages et le 23 juin 1977, 7 pages.

 Dreyfus (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Paris, 1980, 290 pages.