Romans. La mémoire de la Résistance ne veut pas disparaître

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« Ils veulent nous faire oublier tout ça », estime Alphonse Taravello. La municipalité de Romans ne fait pas mystère de ses intentions : la Résistance ne vaut plus un musée, quelques expositions temporaires tout au plus. Un choix qui suscite une large indignation. Un comité de défense a été créé. Il a déjà recueilli plus de 22 000 signatures. De prochaines actions sont envisagées.

« Mon grand-père a opéré clandestinement dans ces bâtiments. » Jean Ganimède évoque la mémoire du docteur Fernand Ganimède. Nous sommes à Romans, dans la Drôme, en 1943. Ces bâtiments, ce sont ceux de l’ancien couvent de la Visitation, devenu collège, qui abrite aujourd’hui le musée de la chaussure et le musée de la Résistance en Drôme et de la déportation.

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Jean Sauvageon, président du comité de défense du musée de la résistance et de la déportation.

L’un des deux musées qui traite de cette période, avec celui de Vassieux, au cœur du plateau du Vercors. Car de la manifestation du 10 mars 1943 pour s’opposer au passage d’un train affrété au titre du STO en passant par la levée des compagnies civiles de l’Armée secrète et des FTP, l’action du groupe franc de Romans ou les 700 jeunes hommes rassemblés en juin 1944 pour monter au Vercors… Romans et ses environs ont une place singulière dans la Résistance contre l’occupant et la milice vichyssoise (1). Des noms qui sont restés dans l’histoire : René Piron, Octave Taravello, Albert Isnard, Frédéric Bleicher« C’était une ville ouvrière où l’entraide avait un sens », se souvient Alphonse Taravello, ancien résistant et dont le père, Octave, dirigeait une entreprise romanaise utilisée comme dépôt d’armes dans le quartier de la Vessette.
Et c’est dans cette ville que la municipalité projette de fermer le musée de la Résistance. Une fermeture de fait déjà effective : le 19 mai dernier, lors de la réouverture du musée de la chaussure, l’espace consacré à la Résistance est demeuré inaccessible et le site internet du musée, resistance-drome.org, est fermé.

Alphonse Taravello, ancien maquisard de la compagnie Piron (Daniel dans la résistance).

Les arguments avancés par la ville sont pour le moins surprenants. Interpellé le 29 juin par l’opposition lors de la réunion du conseil municipal, Laurent Jacquot, adjoint délégué au patrimoine historique, aux archives et au devoir de mémoire, a répondu en deux temps. La seconde guerre mondiale a eu lieu il y a plus de 75 ans, dit-il. Certes. Faut-il fermer les musées consacrés à la préhistoire ? Les documents sont désormais accessibles par internet, ajoute-t-il. « Le musée du Louvre n’a plus de raison d’être : on peut voir la Joconde sur internet », commente avec humour Jean Sauvageon, président du Comité de défense du musée et responsable de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (Anacr).
Car la résistance à cette décision de fermeture du musée s’organise. Un comité de défense a été créé. Aux côtés de Jean Sauvageon, il compte deux présidents d’honneur, Alphonse Taravello, ancien résistant de la compagnie Piron (Daniel, de son nom dans la clandestinité) et Gérard Devigne, le dernier des membres fondateurs du musée.
A l’initiative de ce comité, des articles ont été publiés dans la presse locale et nationale. Une action en justice est envisagée : la municipalité ne respecte pas les termes de la convention qu’elle a ratifiée le 21 décembre 2000. Un flyer a été édité. Un prochain temps d’expression de la contestation se prépare pour le 22 août, jour anniversaire de la libération de Romans.
De nombreuses organisations ont pris position contre cette décision et en ont fait part à la maire de Romans, Marie-Hélène Thoraval. Les associations d’anciens combattants, logiquement, mais aussi les professeurs d’histoire de l’académie de Grenoble, des syndicats, le PS et le PCF. Parmi ces interpellations, certaines ont reçu une réponse, une lettre type – celle qu’a reçue l’association des Pionniers du Vercors.

Jean Ganimède, petit-fils du docteur Fernand Ganimède, médecin chef de l’hôpital de la Résistance dans le Vercors.

Une pétition a été mise en ligne. Elle a recueilli plus de vingt mille signatures. Pétition qui circule aussi sous une forme physique. Plus de deux mille signatures à ce jour. « Nous l’avons fait signer sur le marché, témoigne Jean Ganimède, président de la section locale de l’association des Pionniers du Vercors, plus de mille signatures en deux marché et des habitants de la commune qui nous demandaient, ‘’il est où, ce musée ?’’ ».
Et c’est bien là l’un des aspects révélateurs d’un choix municipal qui n’est finalement pas si récent. En ville, aucune indication pour trouver le musée de la Résistance de Romans. Aucune publicité faite à l’existence de ce musée. Le 3 juin 2019, une réunion du conseil scientifique du musée a été annulée par la mairie, au prétexte de la tenue d’élections municipales en 2020, et le conseil n’a jamais été reconvoqué. On aurait voulu préparer sa disparition que l’on ne s’y serait pas pris autrement.
« Tout cela se passe alors que l’extrême-droite se développe », note Jean Ganimède. « Ils veulent nous faire oublier tout ça », insiste Alphonse Taravello.
Des mots lourds de sens.

Sur le même sujet : « Pétition contre la fermeture du musée de la Résistance ».

(1) Deux ouvrages donnent une idée de ce que fut la résistance dans la région romanaise :
« Jean-Pierre aime la citronnelle », 1943-1944, Résistance entre Drôme des collines et Vercors, Danielle Bertrand, Maurice Bleicher, Jean Sauvageon, ouvrage édité par l’Association nationale des anciens combattants de la résistance aux éditions Mémoire de la Drôme. 2014, 190 pages.
– La résistance à chaque pas, Jean Sauvageon, Alain Coustaury, Jacki Vinay, Henri Rossetti, Maurice Bleicher, Danielle Bertrand, Denis Lesniewski, René Louséghénian, Colette Pelorson. Edité par l’Association nationale des anciens combattants de la résistance. 2021, 174 pages.

L’ancien couvent de la Visitation qui abrite le musée de la chaussure et celui de la résistance, ce dernier aujourd’hui fermé.

Un musée créé par trois associations de Résistants

C’est en 1972 qu’un comité est constitué par d’anciens résistants et déportés avec l’objectif de créer un musée de la résistance et de la déportation à Romans. Ils appartiennent à trois associations : l’Association nationale des Pionniers et combattants volontaires du maquis du Vercors (ANPCVMV), l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (Anacr) et la Fédération nationale des internés, déportés, résistants et patriotes (FNDIRP). Le conseil municipal de Romans décide le 7 novembre 1972 de consacrer à la Résistance l’un des espaces du musée municipal. Le musée de la Résistance en Drôme et de la déportation est inauguré en 1974.
Il évolue en 1992 pour que sa présentation englobe la période 1919-1945, de la montée du fascisme à la Libération. En 1993, il devient Centre historique de la résistance en Drôme et de la déportation et sa nouvelle muséographie est inaugurée en 1994.
Une convention entre la ville et le président du Centre historique de la résistance est signé le 21 décembre 2000. Un site internet est créé en 2004.
En 2009, un comité scientifique est créé. Ses membres ont pour objectif de « porter un regard sur les activités du musée et d’émettre des avis sur tel ou tel aspect de la politique scientifique de ce dernier ».
Le 8 mai 2019, le conseil scientifique est convoqué pour le 12 juin avec à son ordre du jour : « réflexion sur la valorisation du musée et la place des associations d’anciens combattants dans cette valorisation ».
Cette réunion n’aura jamais lieu. Une annulation qui préfigurait les annonces du printemps 2021.

Une indignation dont la presse locale et nationale s’est faite écho.

« N’oubliez pas de lire la Mare au Diable »

Le 23 août 1944, Georges Bert, 23 ans, de Saint-Donat-sur-l’Herbasse, est capturé par l’armée allemande qui remonte la vallée du Rhône. Quelques jours, quelques heures avant la libération. Il est remis à la milice qui l’enferme dans une classe de l’école de filles de Tain-l’Hermitage.
Georges Bert se saisit d’un livre, d’un morceau de crayon et rédige. Lorsque les miliciens l’emmènent pour l’assassiner, il a ces mots en croisant le directeur de l’école : « n’oubliez pas de lire la Mare au Diable ». Dans ce livre de George Sand, il a écrit dans les marges de quatre de ses pages. Une lettre à ses parents. « Elle est aussi émouvante que celle de Guy Môquet », estime Jean Sauvageon.
Donation de la famille de Georges Bert, ce livre fait partie des objets auxquels on peut se confronter en visitant le musée de la Résistance de Romans.
Ce musée que la municipalité de Romans veut aujourd’hui fermer.

Les effectifs de la compagnie Piron (Daniel). Archives Alphonse Taravello.